Guerres de plumes et contestation politique: un espace public dans l'Espagne de la fin du XVIIe siècle? (original) (raw)

Cet article étudie les polémiques de la minorité de Charles II qui opposent Juan José de Austria aux favoris successifs de la reine-mère. Au terme de ces guerres de plumes qui font circuler une masse sans précédent de libelles dans toute l’Espagne, ce fils bâtard de Philippe IV obtient l’exil des favoris et devient Premier ministre. En misant sur les pouvoirs de la plume, don Juan résiste aux autorités sans désobéir ouvertement, et réussit une ascension au sein du gouvernement. La dissidence ne se cache plus derrière l’anonymat des libelles pour empêcher les représailles mais se sert de la tribune offerte par l’écriture polémique pour se mettre en scène et devenir intouchable. Grâce à divers moyens de persuasion et de mobilisation – diffusion massive d’imprimés et de manuscrits, diffamations, rumeurs, marches sur Madrid –, les juanistes exercent une pression sur le pouvoir, mais réussissent à éviter les réalités de la rébellion en canalisant le déchaînement de la violence. Ce faisant, ils élargissent les contours du public politique jusqu’à englober la plèbe qui acclame don Juan en héros. À deux reprises une lutte curiale de factions politiques se transforme en un mouvement d’opinion à l’échelle de l’Espagne. Faut-il y voir l’avènement d’une «opinion publique» et d’un «espace public» au sens habermassien? Comment «l’opinion» considérée comme doxa pourrait-elle s’intégrer à une culture du gouvernement centrée sur la construction du lien d’obéissance au souverain ? Dans quelles conditions un public que l’on suppose doté d’une raison politique peut-il advenir? L’article examine l’éventuelle formation d’un espace public en questionnant la validité de nos catégories d’analyse contemporaines, pour réinscrire les formes de dissidence politique dans leur cadre politique et culturel originel. L’analyse de la façon dont les libellistes utilisent les moyens offerts par la publicité, pour subjuguer et élargir un public né de l’intérêt pour les luttes, permet de penser des sphères de publicité originales qui ne se confondent ni avec la sphère acclamative au service du souverain, ni avec l’opinion publique des Lumières. This article studies the contentions between Juan José de Austria, illegitimate son of Phillip IV, and the queen mother’s successive favourites during Charles II of Spain’s childhood. When these quill pen wars, which trigger an unprecedented circulation of libels throughout Europe, finally end, don Juan secures the exile of the favourites and becomes Prime Minister. Relying on the powers of written forms, don Juan can resist the authorities while avoiding to openly disobey them and he thus manages to be granted access to the government. The dissidence is no more concealed behind the libels’ anonymity in order to dodge any reprisal: don Juan now fully uses the stage opened up by polemic writing in order to put himself in the spotlight and thereby become untouchable. Through various means of persuasion and mobilisation – eg, a massive spread of prints, manuscripts, defamatory documents, rumours and the organisation of marches to Madrid – the Juanists put increasing pressure on the establishment but nonetheless manage to avoid the realities of rebellion while keeping any outburst of violence under control. By doing so, they can expand the outline of public politics so as to encompass the common people, who acclaim don Juan as a great hero. Twice, a struggle of small political factions turn into an opinion wave across all of Spain. Should we interpret this as the materialisation of ‘public opinion’ and of ‘public space’ in their Habermassian sense ? How could the ‘opinion’, seen as a doxa, be integrated into a government culture that centres on the establishment of an obedience-based relationship to the monarch ? How could a public, which we assume to be motivated with political understanding, can come to rise? This article examines the possible formation of a ‘public space’ by questioning the validity of our modern analytical categories in order to put the forms of political dissidence back into their original, political and cultural context. We analyse the way libellists employ publicity to subjugate and widen a public that originally emerged from an interest in conflicts. This allows us to conceive some original spheres of publicity, which are clearly distinct from the monarch’s acclamative sphere and from the public opinion of the Enlightenment.