CR LMÂ, 128, 2, 2022, Brinzei (original) (raw)
L'homme n'a pas volé au Moyen Âge, mais il a pensé, il a imaginé, et il a tenté de transgresser le possible. Voici en exergue le sujet du dernier ouvrage de N.W.P. qui, avec les instruments de l'historien de la science médiévale, nous incite à découvrir comment l'esprit scolastique s'est envolé jusqu'à penser le vol dans une démarche rationnelle. Étudier le vol au Moyen Âge est-il une utopie scientifique ? Cette question traverse le livre comme un fil directeur. L'A. y répond par l'affirmative, en mobilisant une argumentation destinée à montrer que l'approche scolastique du vol dans les airs répond à tous les critères délimitant le champ d'une utopie scientifique : étudier le vol humain au Moyen Âge revient en effet à étudier une situation qui n'a jamais eu lieu en vrai. L'université médiévale, source principale de la production scientifique scolastique et réceptrice de l'oeuvre d'Aristote, par sa pratique du commentaire, provoque et inspire des réflexions sur « le mouvement de ceux qui volent et de ceux qui nagent » (p. 47) ayant comme point central le modèle des oiseaux. L'adjonction d'ailes artificielles, mais aussi le modèle du « vol porté » (l'homme étant soulevé du sol) sont inspirés par le vol des oiseaux (chap. 1, p. 31-52). Mis à part ce vol porté ou imprimé à l'homme, on trouve également le vol spirituel de l'homme porté par les démons. Les textes magiques médiévaux représentent à cet égard la source première à investiguer afin de comprendre le vol nocturne, le vol des sorcières et des femmes scélérates qui chevauchent des animaux durant la nuit. À l'opposé, se trouvent les vols par l'âme et par les anges. La mystique entre en scène avec des épisodes de lévitation où des corps sont élevés à presque un mètre du sol (chap. 2, p. 53-80). Une attention spéciale est accordée aussi au vol des anges, ces substances incorporelles dont la virtus permet d'être localisés dans un lieu grâce à leurs actions et qui ont la puissance de transporter les corps humains. En ce sens, ils peuvent être considérées comme « des véhicules non volants du vol humain » (p. 80). Les détails iconographiques médiévaux sont assez significatifs à cet égard, car les anges sont représentés beaux et ailés. L'influence aristotélicienne est mise à l'épreuve au cours du temps et le xiv e siècle représente le passage d'une science qui s'appuie sur une connaissance inspirée par le sensible vers une nouvelle physique caractérisée par le jaillissement de la doctrine de l'impetus, de la lévitation universelle, ou encore du vide. Ces nouvelles perspectives ont permis de faire avancer la réflexion sur la possibilité de maintenir des corps lourds dans l'air, de les projeter dans l'air par le feu, par l'air chaud ou bien par l'attraction magnétique et, ainsi, d'imaginer une navigation aérienne. L'homme est « le voyageur passif qui dépend de l'effort d'une autre entité » (p. 81) et pour cette raison, l'ars, sans avoir l'ambition de dépasser la nature, peut proposer des alternatives. Plusieurs exemples trahissent le pouvoir spéculatif de l'homme médiéval qui tente de transgresser le possible : Roger Bacon imagine une machine à voler réalisable dans un temps indéterminé, Albert de Saxe parle d'une nef flottante au-dessus de l'air, tout comme Nicole Oresme. Cet ouvrage-composé de six chap. captivants par la richesse des exemples discutés, d'un dossier iconographique élégant, un dossier fouillé de notes et