L'attachement de William James à l'âme des sciences Pour un autre « sens dramatique des probabilités de la nature » (original) (raw)

Théorie et pratique chez William James

Bulletin D Analyse Phenomenologique, 2008

pratique et plus précisément de leur rapport s'inscrit au coeur de l'entreprise philosophique de William James 1. Une approche possible de celle-ci est en effet de l'envisager comme une tentative de surmonter cette dichotomie en mettant l'accent sur la dimension fondamentalement pratique de notre activité théorique. Dans une telle perspective, le pragmatisme, tel que déployé dans l'oeuvre jamesienne, réclame immédiatement toute notre attention. Plusieurs commentateurs l'ont allègrement caricaturé comme niant tout intérêt propre à l'activité théorique ou, pire encore, comme l'expression philosophique de la mentalité de l'homme d'affaires américain. Les développements qui suivent seront l'occasion de souligner le caractère réducteur sinon grossier de telles interprétations. Il ne s'agira pas de nier les tensions qui animent la pensée de James, ce qui nous replongerait dans la caricature, mais au contraire d'en rendre compte de manière nuancée et explicite. Notre réflexion se déploiera à partir de la notion centrale et cruciale de « conséquences pratiques ». En effet, si James suggère avec tant d'insistance de nous tourner vers les conséquences pratiques de nos idées, les controverses suscitées par cette proposition laissent penser qu'il ne l'a pas exprimée de manière suffisamment claire et systématique. Il s'agira donc pour nous de déambuler dans le réseau de la pensée jamesienne afin d'éclairer les tenants et aboutissants de cette idée fondamentale. Ce cheminement devrait finale

Vulgariser la science pour réaffirmer son rôle de savant. L’Essai philosophique sur les probabilités de Laplace

Mémoires du livre, 2014

Scientifique parmi les plus célèbres de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle, Pierre-Simon de Laplace se veut un grand vulgarisateur de ses découvertes. Son Essai philosophique sur les probabilités témoigne de l’importance attachée par le savant à ce domaine, que les philosophes, à son époque, considèrent souvent en marge des autres savoirs scientifiques. À travers cet ouvrage, Laplace essaie, d’une part, d’établir sa puissance institutionnelle et auctoriale et, de l’autre, de convaincre aussi bien les savants que les non-scientifiques de la validité de ses théories. Nous nous proposons d’analyser ici les dynamiques de vulgarisation des savoirs mises en oeuvre par Laplace dans cet ouvrage afin de démontrer, notamment au moyen des réflexions portant sur des choix discursifs et linguistiques, que celles-ci n’ont que l’apparence d’une vulgarisation, réaffirmant plutôt les enjeux institutionnels et auctoriaux liés au pouvoir, à l’époque laplacienne.

Du fantastique littéraire: retour à la question du surnaturel chez James

L'article discute l'importance des phénomènes surnaturels dans les oeuvres de Henry James. Dans son analyse, l'auteur fait référence aux vues critiques et théoriques de Virginia Woolf, Tzvetan Todorov et David Lodge. Il se réfère également aux oeuvres d'écrivains tels que Nathaniel Hawthorne,

James science au risque des effets

Au risque des effets. Une lutte à main armée contre la Raison?, 2023

L'article retrace comment William James a traité l’inquiétude insistante, qui traverse toute son œuvre, que les sciences aient perdu de vue ce qui devrait pourtant être au centre même de leur attention, à savoir : l’aventure infinie d’une quête de la vérité. James, pour sa part, on le verra, tient à cette aventure de toute son âme. C’est sans doute cet attachement sincère qui l’engage à analyser toutes les facettes de l’impasse dans laquelle les sciences de son époque se seraient égarées, impasse où elles seraient – et avec elles l’épistémologie – tombées dans une espèce « d’anesthésie profonde » les rendant tout aussi insensibles et amorales que le monde matériel et inerte qui, du moins selon leur conception prédominante, les entoure. Mais l’attachement jamesien aux sciences va plus loin. Il ne l’engage pas seulement à dessiner les contours de l’impasse, mais également à pointer quelques lignes de fuite afin de commencer à réveiller les sciences du sommeil (ou du cauchemar) qui les auraient, de manière alarmante, éloignées de leurs propres exigences.

Une métaphysique de l'expérience? Pragmatisme, antiréductionnisme et conscience religieuse chez William James

Le Centre pour la Communication Scientifique Directe - HAL - SHS, 2015

7 Le dogme de l'immortalité de l'âme, longtemps en débat, est officialisé en 1513 au Cinquième Concile du Latran. 8 B. Stewart et P. G. Tait, the Unseen Universe : Or, Physical Speculations on a Future State (1875). Ce livre examine en fait le même problème que la présente conférence de James : il répertorie les arguments qui soutiennent l'existence d'une vie dans l'au-delà et les critiques que cette théorie rencontre. Pour ces auteurs, abandonner la croyance en l'immortalité aurait des effets désastreux. Le xix e siècle connaît, certes, un progrès scientifique sans précédent et le nombre d'incrédules va croissant ; il n'y a pourtant, selon eux, aucune raison d'invalider l'hypothèse d'une vie dans l'au-delà, même sur le plan de l'analyse physique et physiologique. « We discuss only the physical aspects of the argument regarding a future state », affirment-ils dans l'introduction. Pour eux, la position matérialiste est pourtant intenable. Quelques-uns des thèmes développés dans La Volonté de croire sont déjà présents dans cette recension de James : « Review of the Unseen

La mise en scène ironique de la science dans les Confessions de Jean-Jacques Bouchard

2008

Bouchard occupe une position decalee : en « retard » par rapport aux novateurs attaches a construire une science non finalisee, qui ne soit pas « en vue de l’ethique », mais peut-etre en « avance » sur eux dans la mesure ou sa conception de l’imagination l’amene a refuser la coupure radicale entre une medecine du corps et une medecine de l’âme. Le lecteur est ainsi invite a rejeter comme des impostures ces deux disciplines cloisonnees et a accorder toute sa place au tiers exclu : le libertin que l’epicurisme a deniaise. Il sait bien que puisque tout est atome, il est vain de pretendre soigner l’esprit sans le corps ou de construire des hierarchies – parties nobles vs parties honteuses – qui ne servent qu’a justifier de nouvelles servitudes. Aussi, plutot que de mettre l’accent sur les « deux vies » dissociees de Jean-Jacques Bouchard, nous voulons souligner la continuite et la complementarite de ses « papiers secrets » et de son travail d’erudit et par la meme la parente des deux li...

William James et son darwinisme religieux

publié in: Archives de psychologie 72, 2006, 33-48. Réimpression in: Fonctions psychologiques du religieux. Cent ans après Varieties de William James. Sous la direction de Pierre-Yves Brandt et Claude-Alexandre Fournier. Genève: Labor et Fides. 2007. Pp. 197-215) William James était déjà un homme célèbre quand, en 1901 et 1902, il prononça à Edimbourg les conférencesles Gifford Lectures on Natural Religion -qui furent ensuite publiées sous le titre anglais The Varieties of Religious Experience (1902 ; traduit en français sous le titre L'expérience religieuse : essai de psychologie descriptive, 1906). Son renom était lié, premièrement, à son grand oeuvre, The Principles of Psychology, paru en 1890 après douze ans de préparation. Un siècle plus tard, pratiquement personne ne lit encore les Principles ; les Varieties, d'autre part, restent un classique qui est réimprimé régulièrement. 1 Le contraste entre ces deux livres n'est pas seulement une question de popularité récente ; il concerne également leurs contenus. Les Varieties, inutile de le rappeler ici, est un texte fondamental pour la psychologie des religions. Les Principles, par contre, et cela en dépit de son nombre de pages impressionnant (env. 1'400), 2 ne mentionne même pas le terme "religion" dans son index détaillé. Pourtant, les Varieties ont pour sous-titre A study in human nature. Autrement dit, les sujets des deux livres ne sont pas totalement différents. S'il y a eu changement entre les deux ouvrages, c'était un changement de perspective de la part de leur auteur. 3 Il est bien connu que les intérêts scientifiques de William James ont subi des changements importants au milieu de sa vie, changements qui se sont manifestés après la parution de ses Principles. 4 D'autres, plus compétents que moi, ont étudié et documenté ces changements, et il serait hardi de ma part de vouloir ajouter quoi que ce soi aux études approfondies qui existent sur ce sujet. J'ai pourtant l'impression qu'il est possible de tracer ces changements, et peut-être de mieux les comprendre, si on prend en considération les positions que James prenait par rapport au darwinisme, mouvement nouvel à son époque. Je dis, les positions, au pluriel, parce que il existait, déjà à son époque, plusieurs formes de darwinisme. Rétrospectivement, on peut en distinguer aux moins deux, à savoir, le darwinisme scientifique et le darwinisme social. Nous savons que les deux, quoique souvent confondus dans la pratique, se doivent d'être séparés rigoureusement. Le premier point sur lequel j'aimerais attirer l'attention est le fait que William James a ajouté à ces deux darwinismes un 1 Plus correctement, peut-être, "most experimental psychologists do not read James after 1890, if they read him at all, while theologians, ministers, and psychologists of religion tend to ignore him before Varieties of Religious Experience" (Taylor, 1996: 7). 2 C'est le nombre approximatif dans la réimpression des Dover Publications. Mais déjà l'édition originale en avait autant, comme en témoigne une remarque de James dans la Preface : "The man must indeed be sanguine who, in this crowded age, can hope to have many readers for fourteen hundred continuous pages from his pen". 3 Cp. Taylor, 1996: xi-xii: "... William James is typically thought to have abandoned psychology after publication of his Principles of Psychology in 1890. The [present] text suggests, instead, that all of James's work after 1890 was, in fact, informed by his interest in psychology, but that his attention was directed toward studying 'the rise and fall of the threshold of consciousness' and other phenomena related to abnormal and personality psychology, rather than toward the kind of sterile academic laboratory psychology that was becoming increasingly dominant in the United States at the time." 4 Voir, p. ex., Taylor, 1983: 2. La difficulté de James de prendre des décisions fait l'objet du chapitre "The man of two minds" de Louis Menand (2001: 73-95).

« La nature des choses » selon Eddington, ou la physique dérivée de la géométrie

bibnum, 2012

La lecture de l’equation d’Einstein de la relativite generale Gµv = (8πG/c4)Tµv se fait generalement de droite a gauche (lecture « machienne ») : la matiere deforme l’espace-temps, i.e. la metrique (le « contenant », represente par le tenseur de courbure G) est determinee par la distribution de matiere (le « contenu », represente par le tenseur energie-impulsion T). Eddington en fait une lecture inverse : la physique est litteralement derivee de la geometrie. Ce n’est pas la matiere qui creee une perturbation, mais la matiere qui est intriquee a la geometrie : la geometrie est rendue physique, « materialisee ». Eddington indique : « La matiere est un symptome et non une cause ». C’est une vue idealiste poussee a l’extreme qu’aura Eddington dans sa carriere de philosophe, et de physicien : elle le marginalisera progressivement dans la communaute scientifique.

Ian Hacking, de l’archéologie de la probabilité au « façonnement des gens »

L'épistémologie historique. Histoire et méthodes , Paris, Editions de la Sorbonne, pp. 159-170, 2019

Ian Hacking est souvent considéré comme l’un des pères fondateurs de ce que l’on appelle l’historical epistemology, courant d’études principalement anglo- saxon qui se situe au carrefour de l’histoire et de la philosophie de sciences1. Cependant, il ne s’est jamais approprié le terme « épistémologie historique », lui préférant historical meta-epistemology ou historical ontology, et il a entretenu une relation qu’il a dé nie comme « tangentielle » avec ce type d’épistémologie – littéralement, comme la tangente qui croise un cercle en un seul point. On pourrait dire que sa position par rapport à l’historical epistemology est donc aussi problématique que le rapport de Foucault aux approches de Gaston Bachelard et de Georges Canguilhem. Un balisage de ce domaine d’étude, entendu au sens large, ne peut donc se faire sans approfondir la nature de ce rapport et c’est dans ce but que je me propose de donner une vue d’ensemble de la philosophie de Hacking, en choisissant comme porte d’entrée sa réflexion méthodologique. Pendant sa carrière, Hacking a travaillé et publié sur un ensemble très vaste d’arguments, qu’il a regroupés dans trois « projets philosophiques » principaux : le « façonnement » des gens (making up people), les styles de raisonnement scientifique et la philosophie des mathématiques. Hacking considère que ces trois projets ont sans doute des points de contact, mais qu’ils sont essentiellement indépendants l’un de l’autre. Je crois qu’il est toutefois important de comprendre quel type de domaine d’interrogation est ouvert par ces trois projets, et comment cet espace se situe, d’un coté, par rapport au domaine propre à l’épistémologie historique « française » et, de l’autre, par rapport à celui de l’historical epistemology contemporaine. À cette occasion, je vais me concentrer sur le projet des styles de raisonnement et sur celui du façonnement des gens : c’est l’intersection possible de ces deux projets, en e et, qui me semble pouvoir constituer l’originalité des recherches hackingiennes.