L’INDIFFÉRENCE ET LA VERTU : PYRRHON D’APRÈS CICÉRON (original) (raw)

INCERTAIN THÉÂTRE OU LE PASSAGE DE LA FIGURATION A LA DÉFIGURATION

Introduction Le spectateur des pièces d'Angélica Liddell est confronté à un être qui doute, à une femme qui remet en cause son texte une fois achevé, et qui modifie sans cesse sa création et son concept. Avec son texte Perro muerto en tintorería ; Los fuertes, jouée en novembre 2007, le spectateur découvrira une artiste qui s'évertue, d'une représentation à l'autre, à construire, à déconstruire puis à reconstruire un univers comme si symboliquement elle trouvait dans cet acte, un certain salut tentant d'échapper au monde qui l'entoure et paradoxalement qui la constitue. Angélica Liddell utilise le plateau comme territoire interdisciplinaire, mêlant histoire, littérature, peinture et sculpture faisant de sa création un outil de critique et une critique en elle-même. Cette démarche suprathéâtrale construite non sans souffrance, suppose un objet inédit, complexe et fragile, une nouvelle piste de recherche qui pose l'objet théâtral à la fois dans un contexte défini et hors du temps, qui questionne surtout le Tout historique pour reprendre la notion crosienne. Je tenterai cet après-midi d'aller au coeur d'une oeuvre qui par une démarche « d'automutilation créative », dévoile une synchronie du dys-synchronique crosien et, par là, ouvre une voie nouvelle de réflexion autour des concepts de « vérité » et de validité de l'objet artistique. Le théâtre d'Angélica Liddell offre un processus créatif qui cherche à détruire l'aspect formel et immanent de l'art dramatique au sens aristotélicien, menant à un anéantissement du symbole. Le dessein de l'espagnole semble clair : une volonté de destruction des systèmes socio-économique, idéologiques et discursif, passant par un concept performatif violent, de l'acte théâtral afin d'atteindre la Vérité et par extension, la seule validité artistique selon elle : la Beauté. A cet effet, nous analyserons comment au moyen de la pièce et de la mise en scène de Perro muerto en tintorería : Los fuertes, Liddell propose une approche inversée de la réflexion du Contrat social de Rousseau, fait de l'axe spatiotemporel un moyen de prise de conscience d'un décrochement du sujet spectateur afin d'en arriver à l'effet de déphasage. En définitive, Liddell travaille à partir d'une temporalité, la nôtre, élabore un discours provenant d'un contexte historique et social celui de Rousseau, et pourtant cherche à se détacher tout en les utilisant. D'une part nous verrons, comment Liddell intègre tout en les détruisant, des paramètres artistiques et littéraires antérieurs et d'autre part,

Cicéron entre histoire et biographie

Interférences, 2009

L'ouvrage bien connu que François Hartog et Michel Casevitz ont consacré à l'histoire antique 1 présente en tout et pour tout deux textes de Cicéron : la fameuse digression sur l'histoire 2 et la lettre à L. Lucceius 3 , avec pour celle-ci le commentaire suivant : « Après la théorie (scil. le de Oratore), la fabrique ou la cuisine de l'histoire contemporaine 4 ». Une telle présentation, en dehors même des problèmes chronologiques qu'elle pose 5 , est tout à fait caractéristique de la lecture qu'un certain nombre de critiques font de la lettre à Lucceius. Elle serait révélatrice du double langage que tient Cicéron lorsqu'il traite de l'histoire, énonçant dans ses traités rhétoriques de grands et beaux principes sur le respect par l'historien de la vérité 6 et s'empressant de recommander à Lucceius de les oublier lorsqu'il lui demande d'écrire l'histoire de son consulat 7. Ce à quoi les défenseurs de l'orateur rétorquent en substance que, l'ouvrage demandé à Lucceius relevant exclusivement de la stratégie de propagande développée par Cicéron pour rétablir son influence à son retour d'exil 8 , on ne peut utiliser sa lettre pour définir la conception qu'il a de l'histoire 9. Mais il n'est pas certain que, dans un cas comme dans l'autre, le problème soit bien posé : c'est la raison pour laquelle j'aimerais reprendre ici l'étude de la lettre à Lucceius autour d'une question qui est, me semble-t-il, beaucoup moins simple qu'il n'y paraît : à quel genre littéraire l'oeuvre que Cicéron demande à Lucceius d'écrire appartient-elle exactement ? Mais, avant d'aborder la lettre elle-même, je voudrais rappeler en quelques mots, car la chose n'est pas sans importance, ce que nous savons de L. Lucceius et de ses relations avec Cicéron 10. 2 Même s'il a eu une carrière politique moins brillante que celle de Cicéron, L. Lucceius 11 a joué un rôle non négligeable dans les affaires de son époque : préteur, sans doute en 67 12 , il est connu pour avoir fait cesser en 64 les poursuites lancées par César contre les partisans de Sylla qui avaient assassiné des proscrits en accusant Catilina pour le même motif ; il fait ensuite partie des soutiens de Cicéron lors de son consulat 13. Candidat à son tour au consulat pour l'année 59 après avoir passé un accord avec César, il est finalement Cicéron entre histoire et biographie Interférences, 5 | 2013

RETRADUIRE ET SAVOIR. VIARDOT ET FANLO ET L'INGENIO DE DON QUICHOTTE

La présente intervention a pour but de comparer deux traductions du Don Quichotte de Cervantès, celle de Louis Viardot de 1853 et celle de Jean-Raymond Fanlo de 2008. L’accent de cette comparaison sera mis sur la traduction du mot ingenio, concept central dans l’œuvre de Cervantès. L’objectif de cette étude ne sera pas de critiquer telle ou telle traduction, mais d’exposer les faits pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles les traductions d’une même œuvre diffèrent. Cette recherche cadre dans un projet plus ample concernant la retraduction, visant à comparer les traductions du Don Quichotte, non seulement en français, mais aussi dans plusieurs autres langues européennes. Une des conclusions tirée de la présente comparaison est que la variation perçue dans les traductions de classiques dépend de la fortune critique de ces œuvres, nécessairement incorporée par le traducteur. A l’instar de Pierre Menard, ‘héros’ de Borgès, il est impossible d’avoir une connaissance critique de l’œuvre et de l’ignorer.

HENRI MICHAUX, EMIL CIORAN: LE PARADIGME DE L'IRRÉALISÉ

Par-là, l'irréalisé est un pli. C'est le pli de l'Irréalisable et du Réalisé. Michaux et Cioran expérimentent d'une manière fort originale la condition d'être à la fois en deçà et au-delà. "Exister est un pli" 5 , affirme Cioran; tout se passe dans cet espace de plissage que Michaux appelle "l'horrible en dedans en dehors".

L’ÉTRANGER À TRAVERS LE PRISME DE L’IVOIRITÉ EN CÔTE D’IVOIRE : RETOUR SUR DES REGARDS NOUVEAUX

la période coloniale, un segment important de la population de la Côte d'Ivoire était constitué d'étrangers que les colons avaient utilisés pour la valorisation économique de la colonie ivoirienne. Fortement influencé par cette politique de l'administration coloniale, l'État ivoirien avait poursuivi la politique d'intégration des étrangers. En 1998, la Côte d'Ivoire comptait 15 366 672 habitants dont 4 000 047 de nonnationaux, soit 26 % de la population totale 1 . La Côte d'Ivoire se présentait donc comme une terre d'accueil pour les étrangers, principalement originaires d'Afrique de l'Ouest. Ces derniers sont totalement intégrés à la société ivoirienne (accès à la terre, accès à l'emploi, droit de vote, etc.).

LE PHILOSOPHE DIDEROT CONTRE L'ABBÉ DIDEROT

CRKVENE STUDIJE , 2022

La présente recherche a pour dessein d’offrir une analyse de la polémique critique au sujet du religieux et de la tolérance dont les acteurs sont les frères Diderot, le philosophe Denis et l’abbé Didier-Pierre. Si nous partons de l’hypothèse que l’abbé Diderot était son lecteur désiré, voire un récipient effectif, le philosophe Diderot écrivait alors ses ouvrages visant son frère, ennemi de l’Encyclopédie et de la philosophie. Dans l’esprit de son encyclopédisme, l’aîné a vu son cadet comme le prototype du dévot intolérant qu’il devait éclairer. En revanche, le cadet a critiqué son aîné comme un irréligieux qui séparait, sans aucun fondement, la morale du christianisme. Le présent article tente de reconsidérer les positions de deux débatteurs à la lumière des arguments échangés.

Orator 128 : Cicéron et la catégorie stylistique de l’ethikon

Cet article analyse la notion de genus ethikon (ἠθικόν) employée par Cicéron au § 128 de son Orator (46 av. J.-C.). En retraçant l’usage de l’adjectif ἠθικός à partir de la Rhétorique d’Aristote, je démontre que Cicéron l’utilise dans son dernier traité rhétorique non comme un équivalent du style moyen, mais comme une catégorie nouvelle permettant d’opposer éloquence du mouere et éloquence du conciliare. Il réintroduit ainsi dans son traité la notion de conciliation du public qu’il avait tout d’abord éliminée de son architecture théorique (au profit de la notion de delectare) afin de garantir la cohérence conceptuelle de sa doctrine. L’ἠθικόν correspond ainsi à l’idée d’une adaptation du style à l’orateur, non sur le mode pragmatique défendu par Aristote (chez qui la λέξις ἠθική désigne l’adaptation du style aux caractéristiques concrètes de l’orateur), mais sur un mode idéalisant : l’ἠθικόν est une catégorie stylistique prescriptive, celle du style de l’orateur accompli.