L’âge : opérations de qualification et principe d’ordre (original) (raw)
Éducation et socialisation
On ne dira jamais trop à quel point le travail sociologique s'inscrit dans les transformations sociales et culturelles de son temps, au point de les mimer. C'est ainsi que s'affirme depuis quelques années la volonté de développer une « sociologie de l'enfance », construite du point de vue des enfants eux-mêmes. C'est précisément une reconnaissance de l'enfant comme « sujet actif » de sa socialisation et de son éducation qu'elle engage : « la sociologie, à l'instar d'autres disciplines, n'a pas toujours traité les enfants comme des êtres sociaux équivalents aux adultes. Elle s'est contentée de considérer les enfants comme des futurs adultes. » (Montandon, 1997). Etudier les enfants comme « tout autre groupe social » relève bien d'un renversement à l'égard des traditions sociologiques françaises, celle de E. Durkheim en particulier, mais aussi de travaux qui, à partir des années 1960, ont développé une approche critique de la culture attentive aux différenciations sociales des définitions de l'enfance et des pratiques éducatives (Boltanski, 1969 ; Chamboredon, Prevot, 1973 ; Chamboredon, Fabiani, 1977). Sociologie critique en effet, car tout en montrant la relativité de cette catégorie de l'enfance, elle l'intègre dans un devenir structuré par des rapports de classe. Dans ces deux perspectives, la recherche sociologique présuppose une qualification de l'enfant qui permet d'investir la réalité empirique. Aussi, de manière nécessaire et complémentaire, ces travaux en appellent à la construction d'un autre objet de recherche, les classements d'âge, qui sont au coeur de ces approches hétérogènes de l'enfance et, plus largement, de tout débat éducatif. Si l'âge, au même titre que le sexe, est bien un critère premier de catégorisation des individus (Brewer, Lui, 1989), les classements d'âge sont des opérations sociales à la fois cognitives et politiques, mettant en jeu la question d'une authenticité de la représentation de l'enfant par l'adulte et celle de la légitimité de leur relation. Les rares recherches portant sur les classements d'âge (Atkinson, 1980 ; Widmer, 1981) ou encore la contribution de Grice et Strawson (1956), n'oublient pas de souligner leur caractère profondément normatif, mais laissent dans l'ombre la visée proprement morale d'un « bien de l'enfant » et l'impératif de responsabilité des adultes à son égard (Ribbens, Edwards, Gillies, 2000). Les travaux de L. Boltanski et L. Thévenot (1991), sans s'intéresser directement à ces classements d'âge, ont ouvert la voie à l'analyse de leur dimension morale et politique en s'interrogeant sur les contraintes générales de construction d'ordres justes entre « petits » et « grands ». En même temps, la modélisation de ces Economies de la grandeur présuppose une « commune humanité » des personnes qui peut s'avérer problématique (Chateauraynaud, 1991). De fait, dans le cas des rapports entre enfants et adultes, deux positions s'affrontent : la première fait de cette humanité le produit d'un devenir de l'enfant; la seconde relativise les différences d'âge pour considérer l'enfant comme d'emblée et pleinement humain. En outre, la contrainte d'absence d'attachement des qualifications aux personnes que définit cette modélisation interroge l'âge comme qualité inhérente, propriété intrinsèque attachée aux individus. L'analyse des débats, des moments de doute ou de lutte, dont l'âge fait l'objet, permet tout particulièrement de montrer comment les acteurs eux-mêmes procèdent à cette