La terreur en images: L''occupation rouge' dans la propagande franquiste pendant la guerre civile espagnole (original) (raw)

Le récit de la « terreur rouge », entonné par le régime franquiste pendant la guerre civile espagnole, est devenu un genre à part entière dans la littérature, les arts, les mémoires, mais aussi dans les domaines juridiques et pénaux qui ont eu pour objet la répression et la vengeance politique. Le cinéma lui octroiera sa plasticité narrative, lit de sentiments et d'émotions comme d'angoisse collective, mais aussi sa condition d'image photomécanique, marquée par la trace indélébile (mais imprécise) du réel. L'histoire de ce genre littéraire que fut la « terreur rouge » a occupé les chercheurs et a été, comme l'on sait, minutieusement documentée (y compris par des faux) dès les premières semaines de la guerre 1. La Junta de Defensa Nacional a commencé à élaborer un « Projet de rapport sur les assassinats, les incendies et autres déprédations et violences commis dans certains villages du sud de l'Espagne par les hordes marxistes au service du prétendu gouvernement de Madrid. » sur la base d'enquêtes qui constitueraient les prémices de ce qui sera, des années plus tard, la Causa General 2. Pour ce qui est de cette analyse, deux modèles s'imposent et (1) Cf. Francisco Sevillano, Rojos. La representación del enemigo en la guerra civil (Rouges. La représentation de l'ennemi pendant la guerre civile), Madrid, Alianza, 2007. Avec l'aide de documents issus de la littérature (témoignages ou fictions), Hugo García, « Relatos para una guerra. Terror, testimonio y literatura » (Des récits pour une guerre. Terreur, témoignage et littérature), in Ayer n° 76, 2009 (4), p. 143-176. (2) Il s'agit d'une importante vague d'enquêtes menées par le ministre franquiste de la Justice, Eduardo Aunós, après la Guerre civile, par décret du 26 avril 1940, dans le but, selon son préambule, d'instruire « les faits brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by Repositori d'Objectes Digitals per a l'Ensenyament la Recerca i... dossier 60 témoigner-entre histoire et mémoire se lexicalisent rapidement, des modèles qui deviendront à leur tour deux acteurs majeurs de la terreur : la mécanique méthodique du crime communiste, d'une part, et la ferveur orgiaque de la destruction anarchiste, d'autre part. Dans l'absolu, la première prend corps dans le communiste froid, méthodique, obéissant à un plan systématique, alors que la seconde s'incarne dans le milicien ingrat, violent, bravache, anticlérical, sale, mais aussi passionnel, une caractéristique associée aux anarchistes. Cependant, puisqu'il s'agit de constructions imaginaires, les échanges, les contagions et les superpositions sont fréquents. De plus, le rôle de chacun de ces antagonistes est différent et l'environnement, les atmosphères dans lesquelles s'épanouit le sentiment de peur qu'ils inspirent à leurs victimes, réelles ou potentielles, diffèrent également. Plus encore, la terreur qu'inspire la simple évocation de ces deux figures se combine, dans le discours nationaliste, avec l'héroïsme, dans une dialectique tendue, en rien victimisante. L'équilibre ne peut être que précaire. La cinquième édition du Noticiario Español (septembre-octobre 1938), produit par le Departamento Nacional de Cinematografía, qui dépend de la Delegación Nacional de Prensa y Propaganda, présente un reportage significatif intitulé « En zona roja » (En zone rouge) et dont les images ont été dérobées à l'ennemi 3. Le sujet de ce reportage est Madrid et son but est de réveiller chez les partisans de l'Espagne nationaliste une émotion inhabituelle. Il dresse un portrait de ce que devait être la capitale convoitée entre les mains de l'ennemi. Le reportage inspire cette terreur qui suinte d'une ville qui a changé de visage, qui a été envahie, occupée, contre sa volonté et sa nature 4. De cette façon, les mêmes plans qui avaient exalté, entre les mains de l'ennemi, la présence soviétique comme un hommage du peuple à son allié solidaire, se teignent, sous la réécriture de la propagande nationaliste (discours, musique, cartons), d'une aura sinistre, d'une atmosphère raréfiée et menaçante, dans laquelle les lieux les plus authentiques de la capitale semblent méconnaissables. N'est-ce pas là la définition de l'inquiétante étrangeté (Unheimliche) que Freud a conceptualisée en suivant une intuition de Schelling 5 ? En d'autres termes, l'émotion empathique se voit transformée en un sentiment de peur et d'angoisse.