Le Dragon comme métaphore des démons intérieurs: Mots et images (original) (raw)

Il y a une nécessité, pour ne pas dire un bonheur, de la transgression. On le sait depuis toujours. Les interdits sont faits pour être transgressés. On ne s' étonnera donc pas d'apprendre que c' est d'une telle nécessité de la transgression qu' est né le culte des images (l'idolâtrie), si l' on en croit un grand penseur chrétien qui fut aussi professeur de rhétorique latine et précepteur dans la famille impériale au début du IV e siècle. Selon Lactance, qui connaît bien les récits bibliques et apocryphes, les démons (avant de devenir des inventeurs d'images) tirent leur origine des anges envoyés sur terre par Dieu. Dieu leur avait précisément interdit, dit-il, de faire ce qu'Il savait qu'ils feraient (scilicet id eos facere prohibuit quod sciebat esse facturos, Inst. div. II, 14, 1). La transgression est donc programmée 2. Les anges couchent avec les femmes des hommes, comme on s'y attend quand on a lu la Genèse, Hénoch, et le livre des Jubilés 3. Les anges, sur terre, sont ainsi « souillés et détournés » par Satan (le Serpent), qui est déjà sur place depuis belle lurette (on est, chez Lactance, dans une version fortement dualiste, opposant les ténèbres à la lumière, dès la création du monde). Les anges souillés et détournés deviennent les démons terrestres, à savoir des agents, des satellites et serviteurs du Diable, tandis que leur descendance (les enfants qu'ils engendrent) deviennent les démons célestes, aériens. Les uns comme les autres, terrestres comme aériens, tous ces démons, chacun dans sa catégorie, chacun dans sa classe, ont des pouvoirs bien réels. Agissant par tromperie, virtuoses en illusions, « en prestiges aveuglants » (praestigiis obcaecantibus, II, 14, 10), ils rendent les humains incapables de voir ce qui est, les persuadant de voir ce qui n' est pas.