L'histoire des Juifs de France en question(s) - III : UNE INTELLIGENTSIA REPUBLICAINE JUIVE ET UN RABBINAT FAVORABLES A L’IMPERIALISME FRANÇAIS, PATERNALISTES VIS-A-VIS DES JUIFS DU MAGHREB ET HOSTILES AU... SIONISME AVANT 1914 ! (original) (raw)

2023, Ni patrie ni frontières

A partir de 1870, un nombre significatif de Juifs deviennent médecins, avocats, enseignants, fonctionnaires et connaissent une ascension sociale. Même s’ils se marient à la synagogue et s’y rendent de temps en temps, leur pratique religieuse est de plus en plus réduite. Comme l’explique Lazare Landau (1973), avec des formulations un peu lapidaires : «Là où les bûchers avaient échoué, les décrets de la Constituante et de Napoléon réussirent. Devenus citoyens français à part entière, des milliers de juifs n’eurent plus qu’une pensée : fuir le judaïsme, s’évader de la communauté, au plus vite, avec ou sans certificat de baptême. Le désir d’assimilation favorisa les conversions bien plus que les mesures de rigueur des siècles passés. Dès le début du XIXe siècle [...], la religiosité connut une chute ininterrompue dans les communautés juives de France [...]. Dans le passé, l’essentiel, aux yeux des juifs, était le maintien de la fidélité à la tradition juive ; désormais, l’essentiel est de ne pas se distinguer de la masse des Français.» S’ils sont de moins en moins religieux, les Juifs sont de fervents patriotes, et des centaines d’entre eux deviennent officiers dans l’armée française. «Ils partagent la devise consistoriale “ Patrie et Religion ” ravivée par le projet républicain et concrétisée dans l’israélitisme puisque, selon Hyppolite Prague, des Archives israélites : ‘C’est un fait d’expérience historique que le Juif, en général, a une prédilection marquée pour les institutions démocratiques, que c’est un libéral d’instinct, un républicain-né’ [Archives israélites, 20 avril, 1914].» Durant tout le XIXe siècle, «les rabbins prennent véritablement au pied de la lettre les décisions du Grand Sanhédrin qui leur font devoir d’enseigner l’amour de la patrie» (B. Philippe, 1997). «La France est identifiée avec Sion, avec le peuple élu, le drapeau tricolore à cet étendard sacré confié à Moïse.» (F. Melzi d’Eril, 2007). Dans un texte célèbre paru en avril 1889, le rabbin Felix Meyer établit un parallèle entre la sortie d’Égypte et le déclenchement de la Révolution française – «les deux points lumineux de notre histoire» selon lui. En 1884, Théodore Reinach enjoint aux Juifs – «dès qu’ils ont cessé d’être traités en parias» – de «s’identifier de cœur et de fait avec les nations qu’ils ont adoptées» et de renoncer «aux particularités qui tendraient à les isoler de leurs concitoyens, en un mot, cesser d’être une nation dispersée, pour ne plus se considérer que comme une confession religieuse». Les écoles juives délivrent un enseignement nettement plus républicain que celui des écoles chrétiennes , et les synagogues lancent des «appels enflammés» «à l’occasion des différentes expéditions et guerres menées par la France» (idem). «Le premier grand rabbin d’Alger, un Alsacien, déclare d’emblée que “sa ligne de conduite est tracée par le ministère de la Guerre”» (sic !) «et que son objectif est d’exercer “une mission religieuse et civilisatrice”» (idem). Si, au cours du XIXe siècle, les clergés catholique et protestant ont exprimé «des réserves à l’égard du pouvoir politique, du moins à certaines périodes de l’histoire» (idem), ce n’est pas du tout le cas de la majorité des rabbins : «les ministres du culte juif manifestent une totale allégeance» à l’État et à la République, ce qui fait du judaïsme un pilier de l’ordre social. «Soyez bons Français c’est la meilleure façon de devenir bons Juifs», tel est le conseil souvent répété par les rabbins. Et cette devise sera reprise par Adolphe Crémieux au moment de la naturalisation des Juifs d’Algérie. Les différences entre les Juifs français assimilés, les Juifs étrangers récemment immigrés et les Juifs algériens naturalisés français après le décret Crémieux sont très marquées. On est loin d’une «communauté» unie, même sur le plan religieux. Les Juifs français assimilés ont parfaitement intégré le logiciel républicain-universaliste-paternaliste et ils l’appliquent sans complexes à leurs «coreligionnaires» du Maghreb.