Racisme, blanchité et État-nation : la construction de l’altérité des Noirs tunisiens (original) (raw)
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L'Homme, 2012
© École des hautes études en sciences sociales Fin novembre 2003. Un air frais et humide descend de la forêt qui entoure le village de Santa Ana, reconnu par ses habitants et les visiteurs comme « le plus traditionnel » des douze villages qui constituent la delegación Milpa Alta à Mexico. Cela fait deux mois que je suis installée dans le village pour mener mon enquête de terrain 1. Des groupes d'hommes ou de femmes de tout âge, ou des familles, avec enfants ou petits-enfants attendent sur la plateforme de ciment qui fait office de place centrale, face à la paroisse et derrière le marché. Je reconnais déjà beaucoup d'entre eux pour les avoir croisés dans la rue ou à l'occasion d'événements publics. Ils sont réunis ce matin car, dans quelques instants, s'ouvrira un concours de poésie nahuatl, langue maternelle de la majorité de la population il y a encore une trentaine d'années. Ce concours est organisé chaque année par des villageois « activistes » de la culture. Sous la grande bâche jaune qui recouvre la place, soudainement, un groupe de danzantes néo-aztèques prend possession des lieux et commence à interpréter ce qu'il présente comme « la salutation aux quatre coins du monde, comme le faisaient nos grands-pères [abuelitos] ». L'initiative vient d'un jeune homme provenant de la zone urbaine de Mexico, tout comme le groupe de danse auquel il fait partie. Il est aussi l'un des étudiants les plus assidus au cours de langue nahuatl qui a lieu tous les samedis matins à Santa Ana. Les danseurs-hommes et femmes-sont habillés selon une interprétation assez libre-et lyrique-de ce que l'on imagine être les tenues précolombiennesplumes, pagnes, conques et hochets. Ils mettent en scène une danse supposée CONTEMPORANÉITÉS L'HOMME 203-204 / 2012, pp. 239 à 264 La formation nationale de l'altérité Art, science et politique dans la production de l'autochtonie à Milpa Alta (Mexico), 1900-2010 Paula López Caballero 1. J'ai réalisé un terrain de près de quatorze mois, divisé en trois périodes. Celui sur lequel je me fonde ici est le deuxième et le plus long, effectué entre 2002 et 2005, dans le cadre d'une thèse de doctorat en anthropologie qui a donné lieu à une publication, cf. López Caballero (2012). CONTEMPORANÉITÉS 241 Production de l'autochtonie à Milpa Alta 244
Arab Initiativ Reform, 2023
La lame de fond de la migration subsaharienne irrégulière de transit ou d’installation est présente dans tout le Maghreb. Le Maroc et l’Algérie font face depuis des décennies à l’épineuse question de l’intégration et de la gestion de ces populations dans leur société. C’est pourtant depuis la Tunisie, acteur secondaire et récent dans cette dynamique migratoire, que le couperet est tombé de manière la plus tranchante, avortant un cosmopolitisme naissant. En effet, le devenir du Maghreb, et en l’occurrence de la Tunisie, comme terre d’immigration en provenance du Sud du Sahara est lié à la présence concrète d’une immigration subsaharienne qui avait longtemps été cantonnée à la figure du cadre international et de l’étudiant∙e en école privée. Ces présences africaines au statut social relativement élevé qui avaient bouleversé la représentation tunisienne de l’«Africain » jusque-là accolée à la misère et au sous-développement, ont muté vers des migrations de transit et d’installation familiale. Dans le processus récent du changement de nature du régime politique tunisien d’un Etat de droit à l’effritement de ses institutions démocratiques dont Kais Saied est l’incarnation, l’Etat populiste est prêt à attaquer ses minorités pour gagner l’opinion publique. L’épisode subsaharien de février 2023 témoigne de ce changement de régime.
Le noir et le blanc du Fils d’Agatha Moudio, discours sur l’altérité et la mêmeté
Voix Plurielles Vol. 19 No. 1, 2022
Le noir et le blanc du Fils d'Agatha Moudio, discours sur l'altérité et la mêmeté Maurice TETNE, Washington University in Saint Louis, Etats-Unis Résumé « Notre village gardait le pied de la colline d'où descendait la rue grise venue de la ville lointaine ». C'est par cette première phrase que s'ouvre Le fils d'Agatha Moudio, roman de Francis Bebey. Ce propos introductif est un premier indice d'autoreprésentation qui va situer le texte dans une séquence intradiégétique. Le village, géographiquement localisé par rapport à la ville lointaine et au pied d'une colline, plante le décor de ce qui va constituer dans le roman un poste d'observation pour scruter l'arrivée des colons. De ce contact des cultures va naître un fils, celui d'Agatha Moudio, source de réflexions discursives qui interrogent de manière originale le moi et l'autre. Dès lors, le je, le nous et le notre du narrateur établissent un jeu conséquent dont l'horizon d'attente déconstruit les codes de l'indigénat en même temps qu'il repense les rapports de race.
Identité et altérité d’un point de vue touareg
Touaregs et autres Sahariens entre plusieurs mondes
Je remercie la revue Etudes et documents berbères de m'avoir autorisée à reproduire ce texte paru dans son numéro 14 (1996) sous le titre "Touaregs : l'identité en marche".
Identité et territoire, le cas tunisien
Territoires, appartenance et identification. Quelques réflexions à partir du cas tunisien par Amor BELHEDI | Belin | Espace géographique 2006/4 -Tome 35 ISSN 0046-2497 | ISBN 2-7011-4326-2 | pages 310 à 316 Pour citer cet article : -Belhedi A., Territoires, appartenance et identification. Quelques réflexions à partir du cas tunisien, Espace géographique 2006/4, Tome 35, p. 310-316.
2018
Les « Subsahariens » qui ont franchi les frontieres geographiques pour arriver au Maroc avant d’entreprendre un passage vers l’Europe decouvrent qu’ils sont porteurs d’une frontiere tout aussi difficile a franchir. Ces personnes deviennent « noires » sur les routes migratoires et font l’experience du racisme. Elles essaient, tant bien que mal, de s’adapter a ce qui est un obstacle supplementaire, et non des moindres, sur leur parcours : elles se decouvrent les representantes d’une alterite radicale inscrite dans leur corps. Leur experience nous montre que le racisme est multiforme. Il convoque les ideologies esclavagistes, coloniales, supremacistes et les articule avec une image contemporaine de l’Africain noir debarquant sur les plages espagnoles, italiennes, grecques, en provenance des cotes libyennes, marocaines, ou tunisiennes. A l’intersection de la figure coloniale et esclavagiste du Noir et des migrants africains actuels, les « Subsahariens » subissent une double alterisation...
De l'esclavage à la servitude Le cas des Noirs de Tunisie
En Tunisie, l'asservissement des « Noirs » a continué au moins jusqu'en 1890, date du second décret d'abolition de l'esclavage. Au cours du XXe siècle, l'esclavage sous sa forme traditionnelle a fini par disparaître et, avec les indépendances et la mise en place de l'État-nation, toute différence de statut est juridiquement effacée. Cependant, ceux qui furent esclaves (‘abid) n'ont connu qu'une très lente émancipation au cours de laquelle ils acquirent certains droits sur le produit de leur travail et des droits familiaux, mais ils resteront longtemps exclus. De nos jours, les « Noirs » tunisiens appartiennent en général aux couches les plus défavorisées de la population, et des liens de dépendance et de clientélisme entre descendants d'esclaves et descendants de maîtres — tout à fait similaires à la pratique pré-islamique du wala' (« patronat ») — sont parfois encore visibles en tant qu'avatars de l'esclavage aboli. Les phénomènes du khamessat et des enfants mrubbin qui ont concerné une grande partie de cette frange de la population conduisent à s'interroger sur la différence de nature entre ce que fut l'esclavage en tant qu'institution, et les formes d'asservissement qui sont apparues en contournement de l'abolition. Il est également ici question de réfléchir sur la réalité historique de ces phénomènes et donc sur la pertinence à qualifier comme « modernes » certaines formes d'asservissement alors que l'esclavage « classique » était déjà principalement de type domestique.