Vigilance et présence dans le soin : pour une psychothérapie institutionnelle en Belgique (original) (raw)
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Revue du Cremis, 2023
En Belgique, la prise en charge des personnes ayant commis une infraction et atteintes d’un trouble mental fait depuis longtemps l’objet d’une mesure d’ « internement », privilégiant une intervention institutionnelle et résidentielle. Les personnes internées en libération à l’essai — phase probatoire de la mesure — peuvent être prises en charge au sein d’unités psychiatriques médico-légales. En quoi consiste le travail de ces unités ? À l’interface entre le sanitaire et le judiciaire, sur quoi porte leur intervention ? Sur la base d’une enquête ethnographique menée dans le cadre d’une thèse de doctorat en sociologie, le présent article vise à mettre en lumière les conditions pratiques et les finalités de leur intervention. Travailler l’autonomie des personnes internées dans un contexte sécuritaire met leur travail en tension. Comment déterminer, ensemble, ce qu’il convient de faire ?
Le soin et le collectif : le mouvement institutionnel
Je voudrais aujourd'hui vous proposer une réflexion sur la question de l'institution à partir de concepts et de la pratique élaborés dans le cadre de la psycho-thérapie institutionnelle. Je commencerais par resituer – de manière non exhaustive (cf. Pierre Delion) – l'histoire de la psychothérapie institutionnelle. L'expression apparaît pour la première fois en 1952, dans un article intitulé « La psychothérapie institutionnelle française », publié dans la revue Anais Portugueses de Psiquiatria, écrit par deux psychiatres français : Georges Daumezon (qui en a fait la proposition) et Philippe Koechlin. Il prend acte d'un ensemble de pratiques et de réflexions qui se sont amorcées au tournant de la 2nde guerre mondiale. L'hôpital de Saint Alban, dirigée par le psychiatre François Tosquelles, constitue le lieu emblématique de pratique et d'invention de la psycho-thérapie institutionnelle. Celle-ci résulte à la fois de la mise en oeuvre dans le domaine hospitalier des apports de la psychanalyse et de la critique des institutions et des rapports sociaux de pouvoir tels qu'ils ont été porté par les mouvements communistes et anarchistes. La figure de François Tosquelles est emblématique de cette articulation. Tosquelles est un républicain espagnol anarco-syndicaliste de sensibilité libertaire qui a combattu les fascistes pendant la guerre civile en Espagne. Mais c'est aussi un psychiatre qui s'inspire de la psychanalyse et qui va très vite se retrouver projeté sur le front de la guerre d'Espagne pour soigner les blessés de guerre. Condamné à mort par le régime de Franco, il se réfugie en France, le 1 er septembre 1939 à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère. Après avoir traversé la guerre civile en Espagne, il se retrouve à traverser la 2nde guerre mondiale en France. Or cette expérience faite pendant la guerre va être essentielle dans le renouvellement de la psychiatrie. Pendant la guerre, la pénurie fait rage, les soignants et les malades sont soumis au rationnement. Dans la plupart des hôpitaux français, les tickets de rationnement des malades ont été pris par les « soignants » ce qui a entraîné un taux de mortalité sans pareil. Un des seuls hôpitaux où il n'y ait eu aucun mort fût précisément Saint-Alban. En effet, face à la pénurie, Tosquelles met en place un processus d'organisation collectif dans lequel les malades vont être impliqués au même titre que les soignants : les compétences des uns et des autres sont mis à contribution, pour cultiver, fabriquer des vêtements, des chaussures, etc., qu'ils soient malades ou soignants. Il va aussi ouvrir l'hôpital sur l'extérieur en tissant des solidarités avec des paysans et habitants locaux. Ce que Tosquelles découvre alors c'est que certaines pathologies disparaissent chez les malades. Il en déduit ceci : certains symptômes que l'on attribuait aux malades sont en fait le résultat d'une logique de pouvoir propre à l'institution. Il ne suffit donc pas de soigner les malades, il faut aussi et d'abord soigner l'institution qui est supposée les soigner, c'est-à-dire remettre sans cesse en question les logiques de pouvoir qui la traverse et la constitue. C'est pourquoi Tosquelles, et Jean Oury par la suite, distinguent toujours entre aliénation sociale et aliénation mentale. Le collectif soignant doit agir sur les deux niveaux sans rabattre l'un sur l'autre. Ce processus rencontre aussi la critique asilaire amorcée avant la guerre mais qui prend une nouvelle tournure avec la découverte des camps de
Santé et Société, 2022
Partant du constat des besoins de soins de santé mentale plus élevés pour certains groupes – les femmes, les personnes actives, pauvres, racisées – cette étude a pour double objectif d’évaluer l’utilisation des soins de santé mentale ambulatoires (consultations chez le psychiatre et le psychologue) et d’identifier les obstacles à l’accès à ces soins. Pour ce faire, plusieurs types de données sont utilisées : celles de l’enquête de santé de Sciensano (2018), de l’enquête de la MC sur la prévalence des problèmes psychologiques et la recherche d’aide (2019), les données d’utilisation des soins des membres de la MC (2021) et les listings de prestataires de l’INAMI et de la commission des psychologues (2022). L’analyse de ces données nous permet d’observer que si ces publics n’utilisent pas les soins dans une mesure proportionnelle à leurs besoins, c’est en raison des freins rencontrés dans les quatre dimensions de l’accessibilité : l’incapacité à identifier ses besoins en santé mentale (sensibilité), la réticence à chercher des services (acceptabilité), l’incapacité à payer les services (accessibilité financière) et l’incapacité à atteindre les services ou les patient·es (disponibilité). Les femmes sont ainsi moins sceptiques que les hommes envers l’aide professionnelle, mais elles sous-rapportent leurs problèmes et mettent en avant des inquiétudes liées au coût des soins et au temps disponible pour en bénéficier. Les personnes ayant des difficultés financières, quant à elles, ont davantage honte d’avoir recours à l’aide professionnelle et sont les plus nombreuses à indiquer qu’elles s’inquiètent des coûts des soins, de façon légitime puisque les soins qui ne sont pas remboursés par l’assurance obligatoire leur restent largement inaccessibles financièrement. Elles utilisent ainsi ces soins psychologiques dans une moindre mesure. En outre, l’offre de prestataires est inégalement distribuée sur le territoire. Tant de difficultés qui débouchent sur des recommandations qui découlent des résultats de notre étude et qui insistent notamment sur l’importance de mesures proportionnées qui permettraient d’atteindre des résultats similaires dans tous les publics.
Connexions, 2010
Une expérience de coanimation au sein d'un master Cadre général Le master professionnel de sciences de l'éducation, spécialité DCFA (« Développement de compétences en formation d'adultes »), option FIAP (« Formation à l'intervention et à l'analyse de pratiques »), s'est ouvert à la rentrée 2005 sous la responsabilité scientifique de Claudine Blanchard-Laville. Nous y assurons de nombreux enseignements, en M1 comme en M2. En M2, le dispositif de formation s'articule essentiellement autour du stage pratique et des groupes de supervision qui l'accompagnent. Ce stage consiste, pour des étudiants et étudiantes disposant à la fois d'une pratique de formation d'adulte et d'une expérience de l'élaboration clinique (soit par leur expérience antérieure, soit par le travail effectué en 1 ère année du master), à prendre en charge un groupe de formation à orientation psychanalytique, sous forme de groupe d'analyse de pratiques professionnelles, de groupe de paroles ou d'intervention auprès d'équipes instituées. Les deux groupes de supervision sont animés, l'un par Claudine Blanchard-Laville et Bernard Pechberty et annoncé comme étant « plutôt centré sur les enjeux psy
Rencontres avec l'enfermement. Une réflexion sur le soin en psychiatrie
Empan, 2019
Résumé : Mes recherches en sociologie m'ont conduite à étudier les situations de violence, les pratiques de contrainte et les unités sécurisées à l'hôpital psychiatrique, en parallèle de la montée de la démocratie sanitaire qui prône le respect des droits des patients et notamment de leur consentement. Ce texte parcourt ces terrains d'enquête au prisme de l'enfermement, dont les paradoxes illustrent les mutations en cours dans le monde de la psychiatrie. La réflexion proposée dans ce texte a émergé au fil d'enquêtes sociologiques que j'ai menées dans le monde de la psychiatrie au cours des dix dernières années. Une recherche sur la gestion des situations de violence dans les unités d'hospitalisation en psychiatrie, entamée en 2006, m'a conduite à étudier les pratiques de contrainte et d'enfermement en santé mentale. Alors que les régulations juridiques et administratives réaffirmaient que la relation de soin devait être contractuelle et consentie, ces pratiques devenaient de plus en plus difficiles à justifier. On discutait des règles qui devaient encadrer leur usage. Or, à cette même période, les politiques publiques tendaient à développer les unités sécurisées et la spécialisation des soins qui y étaient dispensés. Dans les pages qui suivent, je reviens sur ces paradoxes de l'enfermement pour illustrer des mutations du monde de la psychiatrie.