Cartographier l'Espagne, ausculter le combat. La guerre civile espagnole dans la littérature européenne (France, Italie, Royaume-Uni) (original) (raw)
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La Guerre civile en Espagne et les écrivains belges francophones : étapes d'une réception littéraire
Revue belge de philologie et d'histoire, 1987
Peu d'événements ont marqué la littérature française avec l'intensité de la guerre civile. Ni le oenflit franco-prussien de 1870, ni la Commune de Paris, ni les deux guerres mondiales n'ont laissé une empreinte aussi durable et aussi profonde. Combien d'écrivains majeurs n'y ont-ils pas voué leurs énergies ? Bernanos, Maritain, Malraux, Mauriac, Sartre... Tous, explique Claude Pichois, ont en quelque sorte rencontré im conflit taillé sur mesures. Une guerre à «dimension humaine», au moins à ses débuts, qui évoluait au gré des initiatives individuelles, tout en déployant sur l'espace européen im enjeu crucial : l'arrêt des desseins expansionnistes du fascisme ('). En outre, la guerre d'Espagne mettait en présence des forces politiques analogues à celles qui s'alfrontaient en France (gauche/droite ; Front populaire/ réaction catholique...) ; elle «bénéficiait» aussi de sa proximité géographique et d'une exceptionnelle couverture médiatique. Écrivains et intellectuels furent donc nombreux à soutenir les deux camps qui sollicitèrent leur appui symbolique : les uns participaient aux meetings du Front populaire tandis que d'autres collaboraient aux journaux d'extrème-droite. Certains prirent même les armes. Dès ce moment, récits documentaires et pamphlets, fictions et poèmes confirmèrent l'existence d'un «engagement» généralisé, et le thème de la guerre civile demeura lié à cette «nouvelle alliance» de la littérature avec l'action militante. En Belgique, le Front populaire ne se structura pas jusqu'à accéder au pouvoir, et la péninsule ibérique pouvait sembler plus lointame qu'à ses voisins fiançais. Mais la lutte anti-fasciste n'y était pas moins aiguë (^) : des bataillons franco-belges (1) C. PiCHOis, «Une problématique littéraire de la guerre d'Espagne», Dossiers H, Les Écrivains et la guerre d'Espagne, Paris, 1975. Pour une vue d'ensemble des réactions des écrivains français, voyez : M. BERTRAND DE MUNOZ, La Guerre civile espagnole et la littérature française, Paris-Montréal, 1972. (2) Ainsi, parmi d'autres, Alexis Curvers et Marie Delcourt participent aux campagnes du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (C.V.I.A.) en écrivant dans Vigilance (de mai à novembre 1936). Frans Hellens est membre, lui-aussi, de ce Comité. Et, à Bruxelles, l'équipe de Documents (Jean Stéphane, Piet Vermeylen, Jean Lavachery etc.) mobilise les intellectuels progressistes. participèrent aux combats ; des centaines d'intellectuels, notamment dans les milieux laïcs, exprimèrent leur soutien à la légitimité républicaine. C'est en vain, pourtant, que l'on parcourrait les histoires ou les anthologies de la littérature belge francophone à la recherche d'une mobilisation comparable à celle des lettres françaises. Seul un Achille Chavée paraît échapper à l'atonie ambiante : l'indifférence serait-elle la réponse des écrivains belges à l'un des plus grands drames du siècle ? Les lacunes de l'historiographie trahissent ici le mécanisme d'occulation des enjeux politiques dont la littérature belge fut, à maintes reprises, la très consentante victime. Pas question d'arracher les auteurs aux limbes de l'art pur ou de les relier à un conflit jugé contingent. Un silence frileux recouvre les aspérités et gomme les antagonismes. Aussi est-il temps de reprendre l'histoire des réactions des écrivains belges devant l'événement, d'évaluer l'importance quantitative et qualitative du thème de la guerre d'Espagne dans notre littérature et de rendre compte des pratiques littéraires qui unirent l'expression personnelle à la dynamique militante. Toutefois, à saisir ainsi le thème de la guerre civile comme un révélateur de l'engagement, il nous faut d'emblée préciser les enjeux de notre recherche. L'inscription du réel historique dans le texte littéraire ne découle pas des seules positions politiques de l'écrivain : elle procède de ses options littéraires et stylistiques. Un auteur qui s'opposait aux formes «réalistes-naturalistes» en vogue pouvait-il faire écho à un conflit réel ? Son travail sur le langage, sa pratique intertextuelle, ses tentatives anti-institutionnelles ne lui interdisaient-ils pas de prendre parti sur le terrain lexical et dans les formes narratives de ses adversaires idéologiques ? À cet égard, il est des réserves, celle d'un Nougé notamment, qui traduisent moins une abstention politique qu'une forme hautement stratégique de retraite. Il serait donc sot d'attendre de tous les écrivains politiquement engagés qu'ils prissent la guerre d'Espagne pour sujet d'inspiration. De surcroit, la guerre d'Espagne surgit dans une période où la littérature belge tend à rejeter l'engagement comme un corps étranger. En 1936-1938, les élans suscités par la Révolution russe puis par le Plan du travail sont retombés. Exemple caractéristique : l'auteur de Faux-Passeports, qui avait joué un rôle essentiel dans la traduction lyrique de ces enthousiasmes, reçoit le Prix Concourt pour une oeuvre thématisant «l'adieu aux créatures» du militantisme. Cette exceptionnelle consécration symbolique pouvait-elle ne pas être interprétée comme une condamnation des tentatives antérieures de Charles Plisnier ? Et, à travers elles, comme un rejet des formes poétiques à vocation collective ou à contenu «social» ? Comme une éradication de l'engagement en littérature C) ? Cette situation explique en tous cas l'image récurtente de la Tour d'ivoire dans les poèmes qui évoquent la guerre civile : on peut y lire la traduction emblématique (3) Le discours de Valère-Gille, recevant Charles Plisnier à l'Académie le 15 octobre 1938, se résume à une condamnation sans appel du vers-iibrisme, de l'engagement en littérature et de toute l'oeuvre antérieure à Faux-Passeports (Bulletin de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises, 1938, 3-4, pp. 53-59). de l'interdit institutionnel. Un effet second du même phénomène justifie par ailleurs l'absence des «grands» écrivains belges dans notre panorama, car c'est en dehors des murs de la légitimation que se glissent les francs-tireurs de l'engagement. Leurs oeuvres, comme nombre des textes que nous serons amené à citer, n'obéissent sans doute pas aux critères habituels de la «valeur» esthétique. Des écrivains occasionnels (ceux que Barthes appelait des «écrivants») ont voulu porter témoignage ou polémiquer contre leurs adversaires {*). Si ces textes s'éloignent d'une défmition autonomiste du littéraire, ils n'en participent pas moins de droit au corpus décrit. En soi, d'ailleurs, le thème de la guerre civile posmle une saisie de la littéramre où prédomine la valeur d'usage, l'efficacité idéologique ou pragmatique. Ce point de vue détermine une typologie des écrivains qui est spécifique à la recherche et qui s'abstrait nécessairement des normes scolaires ou institutionnelles. Réactions contemporaines La guerre civile espagnole n'éclate pas dans un ciel serein. Depuis longtemps, la lutte des classes y a pris une tournure sanglante. En 1934, la révolte des Asturies, impitoyablement réduite par Franco, est l'occasion d'une première mobilisation des intellectuels européens. L'hebdomadaire d'Henri Barbusse, Monde, consacre un numéro spécial à la situation en Espagne ('). Au même moment, Albert Ayguesparse, qui est le secrétaire des «Amis de Mondes à Bruxelles, rédige son Poème pour trois voix ('). On y entend la Foule, les Puissants et Spartacus, incarnation de la force révolutionnah-e et de la mémoire agissante du prolétariat. Celui-ci proclame : C'est par un jour comme celui-ci qu'ils ont fusillé à bout portant dans les villages des Asturies le socialisme mais il y a un chant de liberté dans la mémoire des hommes Outre qu'il annonce les opinions auxquelles l'auteur restera fidèle, ce texte est important par la forme littéraire qu'il investit. Le Poème pour trois voix est un choeur (4) Nous excluons toutefois du corpus des textes documentaires comme ceux de HEM DAY, Problèmes d'Espagne, Bruxelles, 1937, qui malgré leur intérêt, ne relèvent pas d'une étude littéraire. Par ailleurs, eu égard à la contribution de Daniel Droixhe, nous tairons ici l'apport de Charles d'Ydewalle. Du 24 september au 18 octobre 1931, Suzanne Lilar publia dans l'Indépendance belge huit feuilletons consacrés à «l'Espagne républicaine vue par une femme». Je ne sache pas qu'elle soit revenue sur le sujet à l'heure où les enjeux politiques s'aggravèrent. (5) Monde, novembre 1934. (6) A. AYGUESPARSE, Poème pour trois voix, Bmxelles, 1935. Sur A. AYGUESPARSE, né à Bruxelles en 1900, je me permets de renvoyer à : Albert Ayguesparse, la mémoire et l'histoire.
2015
t. III-5, 1990, p. 7. 4 « Helios était la pointe de l'iceberg d'une légion de dessinateurs qui, pendant la guerre civile, se sont déclarés pour la république, contre le fascisme et même pour la révolution sociale. Ceux qui sont restés en Espagne et qui illustraient les journaux de guerre et de l'arrière-garde, ont conçu des manuels militaires, des livrets d'alphabétisation, ont illustré des timbres, des cartes postales, des pasquins, des tracts, des prospectus et des affiches », Miguel Sarró « Mutis », Pinturas de guerra. Dibujantes antifascistas en la Guerra Civil española, Madrid, Traficantes de sueños, 2006 [2005], p. 19. 5 « Et c'est dans ce domaine que la satire allait rencontrer la chronique et l'expression de l'horreur, c'est là que les artistes de premier plan ont pu réaliser une oeuvre plus personnelle », José Álvarez Lopera, article cité, p. 10.
Cinéma et écriture de l’histoire : la guerre d'Espagne au fil du temps
2012
Le propos de ce cours est d’étudier les rapports entre le cinéma et l’écriture de l’Histoire à partir du cas particulier de la représentation de la guerre d’Espagne. Moment de déchirure dans la culture politique de l’entre-deux-guerres, le conflit espagnol devient pendant trois ans (1936-1939) le lieu de cristallisation de certains motifs surgis de la Grande Guerre : déshumanisation de l’ennemi, foisonnement symbolique propre aux religions politiques, internationalisation des conflits sociaux et idéologiques, omniprésence de la propagande... Autrement dit, dans la guerre d’Espagne se livre le premier combat entre fascisme et stalinisme, entre fascisme et démocratie, alors qu’a lieu la dernière bataille pour la survivance de l’anarchisme et que le trotskisme se manifeste pour la dernière fois comme une force agissante au sein de la gauche d’obédience communiste.
Celle qu'on appelle en Espagne la « guerre civile », connue ailleurs sous le nom de « guerre d'Espagne », constitue l'événement qui casse en deux à la fois le siècle et le territoire espagnol, en produisant une forme de partition spatio-temporelle dont les répercussions sont encore vives et visibles aujourd'hui. On propose ici une réflexion panoramique à vocation vulgarisante sur les représentations de la guerre d'Espagne dans le temps contemporain, aussi bien dans les discours historiographiques ou politiques que dans les dispositifs esthétiques – en particulier dans la littérature, sur laquelle on s'arrêtera davantage.
La femme au coeurde la guerre civile espagnole: un objet litteraire convoité par les nationalistes
Hispanistica Xx, 1999
Dijon C'est avec l'avènement de la Il e République, en avril 1931, que les droits de la ferrune espagnole sont enfin reconnus. L'égalité des sexes, inscrite dans la Constitution, lui donne la possibilité d'accéder à des charges publiques jusqu'alors réservées aux hommes. La loi sur le divorce, datant de février 1932, peut être considérée comme l'une des plus tardives en Europe, mais elle est aussi l'une des plus progressistes et entraîne un profond mécontentement des milieux catholiques. La République ne s'est-elle pas donné pour mission de contrôler le pouvoir de l'Église, dont elle envisage sa séparation de l'État en l'assortissant d'une série de mesures à l'encontre des congrégations religieuses ? Quant au droit de vote des femmes, il est acquis en octobre 1931, bien que les parlementaires de gauche craignent, à juste titre, les conséquences électorales du cléricalisme féminin.