Baron noir : ordinaire de la politique et politique de l'ordinaire (original) (raw)
Baron noir : ordinaire de la politique et politique de l'ordinaire Alexandre Gefen (CNRS) et Simon Gefen (Science Po Paris) Des Perses d'Eschyle aux Mouches de Sartre en passant par le Cinna de Corneille, qu'il s'agisse de penser une défaite, une révolte ou un complot, nos représentations du politique en font un moment de conflit entre des intérêts divergents, une krisis exemplairement exprimée par le théâtre, genre matriciel du politique. Alors que même les formes longues du théâtre politique (Le Vicaire de Rolf Kochhut, qui dure huit heures par exemple) restent des mécaniques centrées sur l'action et ses péripéties nécessaires, la narration sérielle entretient un autre rapport au temps et joue une tout autre partition : elle s'inscrit dans la durée de la vie quotidienne du spectateur, elle se rapproche de la temporalité naturelle du temps humain, elle peut faire voir les à-côtés des lieux et des instants tragiques, elle peut se permettre les moments de déconcentration, de plus faible densité, elle peut accorder de l'intérêt aux personnages sans enjeux et à la vie ordinaire, en proposant une économie plus équitable de l'attention. Visionnant l'interminable cycle de The West Wing (155 épisodes) l'attention dérive et peut se fixer sur des détails secondaires à l'action, des vases de fleurs dans le bureau ovale aux pyjamas du président. Quoique plus dense, la série politique danoise Borgen n'économise pas le temps pour représenter le monde domestique de l'héroïne, le care vis-à-vis des enfants, dans un contrepoint constant que l'on retrouvera dans Baron noir entre les ordres d'importance. Consacrées autant à l'exercice du pouvoir qu'à ses à-côtés, les trois saisons de la série française Baron noir dépeignent autant la vie politique que des formes de vie politiques. Mettant en scène la décomposition d'un parti, le PS, et plus largement d'un système politique, nous ferons l'hypothèse que Baron noir vise à réfléchir non seulement à l'ordinaire du politique, mais aussi aux incidences du politique sur la vie commune, autrement dit aux politiques de l'ordinaire, dont la mise en scène est au service d'une réflexion sur la dépolitisation du monde. Le temps dilaté d'une vie quotidienne dont l'emprise s'accroît au cours de la série, comme la banalisation du monde politique dans ses basses tâches, sont mis au service d'une réflexion sur la fin possible du politique, celle de la dissolution des grands schèmes idéologiques et des choix faisant repère, mais aussi de l'idée d'une politique pensée dans sa verticalité et son surplomb. La série met en scène « Un homme de l'ancien monde qui a participé́ à l'accouchement du nouveau », résument les scénaristes en évoquant le personnage principal, Philippe Rickwaert, incarné par Kad Merad et inspiré par Julien Dray, mais ce monde est peutêtre celui d'une politique déplacée dans les réseaux sociaux et les questions sociétales. Série de de la débrouillardise, de la fatigue et au final de l'impuissance, mettant en scène un Scapin génial (le président Laugier le surnomme d'ailleurs Sganarelle), mais accablé comme les grands de ce monde largués face à une société qui ne leur répond plus, insistant sur le