Le sourire de Jeanne (original) (raw)
1992, XYZ. La revue de la nouvelle
Premier prix du Concours de nouvelles d'XYZ 1992 |g| est en automne que le voyage meurtrit, quand le vent se promène comme un voyou à travers les arbres et vient m'égratigner le fond de l'âme. Agrippé aux ridelles, je pourrais entendre craquer tous les os de mon corps si j'avais les oreilles au voyage. Non. Les yeux clos sur les marais gelés, je retourne dans ton dos, dans la chaleur du matin gris. Tes fesses calées dans mon bassin, nos corps collés à n'en plus savoir qui se moule sur l'autre. Nos rêves suspendus à des murmures de parents. Je glisse le nez dans ton cou. Ma barbe est longue. Ton épaule me coince le menton et tu me martèles les jambes à coups de talon complices. C'est le signal: tu m'as donné ta chaleur du matin, je te rapporte mes joues rasées au savon de la ville; tu me respires, les yeux encore soudés de nuit; tu frémis jusqu'au bout de tes petits seins roses; et tu souris, belle Jeanne. Le thé est chaud quand tu me rejoins dans la cuisine, le pain, tranché. Nous finissons de nous réveiller ensemble. Combien d'années garderons-nous nos secrets du matin ? Combien d'enfants m'annonceras-tu encore en buvant du thé noir dans des tasses craquelées ? Tes mots simples. Tes yeux s'assombrissent déjà. L'horloge va sonner cinq heures et demie. Je cherche mes bottes, mon imperméable, mes gants, mon casque dur. Tu enfouis dans mon sac à dos la viande séchée, le fromage et le pain de seigle. Nous n'apprendrons jamais à nous quitter le matin. Nous fermons les yeux. Est-ce le froid des arbres sans feuilles ou cette empreinte dans mon bassin qui me blesse ?