Diderot et Le Neveu de Rameau, un je(u) de rôle à l’issue incertaine (original) (raw)
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Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 2006
Celui qui prendrait ce que j'écris pour la vérité serait peut-être moins dans l'erreur que celui qui le prendrait pour une fable
Le Neveu de Rameau et la mise en oeuvre du contexte
Littérature n° 194, 2019
Résumé : Le Neveu de Rameau de Diderot permet de faire une expérience de pensée qui déplace les relations entre l’œuvre et son contexte. Si l’on prend au sérieux la contextualisation philosophique du dialogue, et particulièrement son inscription dans le contexte du matérialisme des Lumières, l’œuvre n’est plus seulement faite de mots, mais elle entretisse cette sorte d’objets matériels que sont les idées. Dès lors, texte et contexte ne sont plus de nature distincte et l’idée de contexte se résorbe dans celle de cotexte.
“L’erreur vitale : antimathématisme et monstruosité chez Diderot”
Dianoia, 2020
La fascination de Diderot pour les monstres, dans un cadre tant biologique que « cosmique », est bien connue. D’une part il renverse la perspective aristotélicienne selon laquelle l’existence de monstres témoigne simplement de cas où la Nature a « manqué » sa cible : les monstres et la manière dont leur existence témoigne de l’aléatoire au niveau brut ou premier de la réalité, deviennent au contraire un trait constitutif de l’ontologie matérialiste. Or, comme l’a formulé Georges Canguilhem, « il n’y a pas de machine monstre », ce qui signifie, en invertissant sa formule, qu’il n’y a de monstres, d’erreurs, de formes contre-nature, que dans le vivant. Cette vision d’une nature vivante et monstrueuse, ou vivante car monstrueuse, se retrouve dans ce que l’on a pu qualifier d’ « antimathématisme » chez Diderot : les vérités rigoureuses des mathématiques se transposent très mal « sur terre » (Pensées sur l’interprétation de la nature, § ii, iii). Bref, l’aléa, l’erreur, le monstre sont des traits constitutifs du vivant pour Diderot, lucrétien moderne : il ne se contente ni de « commenter » les sciences de la vie de son temps, ni d’affirmer des principes a priori qui aideraient à déchiffrer l’empirie brute (ou encore d’affirmer le multiple, en bon nominaliste) ; au contraire, il projette ces traits sur la matière elle-même, articulant par là un protovitalisme. L’erreur y est également présente parce que, contrairement à quasiment tout le reste de la tradition matérialiste (y compris La Mettrie), Diderot met l’accent sur le caractère fictionnel de notre rapport à la Nature, qu’il décrit comme une « femme qui aime à se travestir et dont les différents déguisements, laissant échapper tantôt une partie, tantôt une autre, donnent quelque espérance à ceux qui la suivent avec assiduité de connaître un jour toute sa personne » (Pensées sur l’interprétation de la nature, (§ xii) ; cette ontologie protovitaliste a déjà intégré quelque chose des « puissances du faux » (selon l’expression deleuzienne). Nous préférons le terme de « protovitalisme » à celui de « vitalisme », entre autres parce qu’il y a quelque chose de profondément programmatique dans cette vision de la matière vivante chez Diderot, qui n’appartient donc ni à une « école » (comme l’École de Montpellier) ni à une controverse (avec le « mécanisme » notamment).
Représenter l'irreprésentable : l'écriture de la pantomime dans Le Neveu de Rameau de Diderot
Zinbun, 2014
La particularité du Neveu de Rameau de Diderot consiste non seulement dans le dialogue étincelant d'esprit entre Lui et Moi, mais encore dans les pantomimes de virtuosité de Lui accompagnées de la narration descriptive par Moi de ces pantomimes. Dans la pantomime extraordinaire des airs d'opéra et de l'orchestre, plus Lui avance dans l'exécution de la pantomime, plus l'énonciation progresse dans la surenchère. Dans le passage de la pantomime, représentation corporelle, à l'écriture, représentation textuelle, s'établit un changement dans la temporalité, changement qui passe du mouvement se déroulant de manière synchronique dans un espace à trois dimensions au mouvement qui ne se développe que sous un système diachronique de signes. Pour visualiser et en même temps rendre audible la pantomime musicale, l'écriture recourt à la parataxe susceptible d'intégrer les éléments hétérogènes pour les homogénéiser énergétiquement. Ce procédé rhétorique permet encore de représenter la prolifération anarchique du mouvement corporel anti-logique. La prolifération de l'écriture a une affinité avec le dynamisme musical qui se développe par l'introduction des dissonances ou des modulations dans l'harmonie. L'enjeu de l'écriture poétique pour Diderot est de représenter exhaustivement l'énergie interne de l'objet et, par là, de restituer l'énergie inventive de la représentation, au détriment de l'ordre institutionnel du langage.