De la manière dessinée d’écrire l’histoire (original) (raw)
Gwenaële Rot et François Vatin Nous nous sommes entretenus avec Nayel Zeaiter à la villa Belleville le 22 octobre 2021. Ce n'était pas notre première rencontre. Nous avions été mis en contact avec lui par Chris Dercon, le directeur de la Réunion des Musées Nationaux [RMN]-Grand Palais 1. Celui-ci avait commandé à cet artiste une grande frise de neuf cents mètres de long racontant l'histoire du Grand Palais sur les palissades qui entourent le chantier de ce bâtiment, en travaux de rénovation jusqu'en 2024. Cette oeuvre, destinée à demeurer sur place jusqu'à la fin du chantier, a été inaugurée le 16 septembre 2021. Chris Dercon pensait que nous pouvions fournir des éléments à Nayel Zeaiter sur un moment de l'histoire de ce bâtiment, celui où le peintre Reynold Arnould auquel nous nous étions intéressés, dirigeait les Galeries nationales qui y étaient implantées 2. Nous avons sympathisé avec cet artiste et avons été intéressés par son travail qui mélange les genres, dans tous les sens de cette expression. Nous avons passé quatre heures avec lui à la Villa Belleville, centre d'art associatif dont il est l'âme et la cheville ouvrière, même s'il préfère parler le langage du collectif. Le texte qui suit est une reprise très remaniée de cet entretien-fleuve. Il ouvre des « brèches », selon un terme qu'affectionne cet artiste, sur son monde intime, masqué derrière le souci d'objectivisme qui le fait s'intéresser à l'histoire et son choix d'un dessin à l'ordinateur très épuré, qui a conduit Guillaume Dégé à le désigner de « peintre d'autoroute » en référence à Jean Widmer 3. Chez Nayel Zeaiter, l'humour, toujours présent, confine en permanence au tragique. Quand il dessine l'histoire du Grand Palais, il affectionne la période de l'occupation allemande, parce que « c'est toujours facile de faire quelque chose de drôle avec », comme, dans l'histoire de France, il privilégie la Saint Barthélémy ou la Croisade des Albigeois. Mais cette obsession de la violence est tempérée par la simplicité apparente De la manière dessinée d'écrire l'histoire Revue d'histoire culturelle, 4 | 2022 1. Comment entrer dans le monde de l'art : économique et politique Gwenaële Rot, François Vatin : Comment en es-tu arrivé là ? Nayel Zeaiter : J'ai pratiqué très jeune le dessin et la peinture. À la sortie du bac j'ai voulu aller aux Beaux-Arts. Je n'ai pas réussi à y entrer et je suis allé à l'université, en histoire de l'art. En parallèle, j'ai commencé la gravure dans un atelier municipal : bois, linoléum, métal. Dès le collège et le lycée, j'avais travaillé sur des affiches. J'ai fait aussi de l'affiche de rue, type « Atelier populaire » des Beaux-Arts de 1968, mais je n'ai pas baigné dedans. Après deux ans à l'université, je suis entré aux Arts Décoratifs dans la section « image imprimée ». Ce n'était pas ce à quoi je me destinais. J'imaginais un travail de type « Beaux-Arts », avec un maître d'atelier… Aux Arts-Déco, c'est beaucoup plus scolaire : on répond à des sujets, c'est un peu rigide. Mais, finalement, cela m'a permis d'étudier les techniques de l'édition, vers lesquelles je ne me serais pas forcément orienté. Cela nécessitait beaucoup de travail sur l'ordinateur, l'usage de logiciels de mise en page etc. Cela m'a poussé à reprendre des choses : le travail du texte, le rapport texte et image. J'ai écrit quelques livres en autoédition avec l'idée de réaliser les choses moi-même de A à Z pour maîtriser toute la chaîne de création-production. J'aime jouer sur les niveaux de lecture, le sens des mots, des messages, le second degré… C'est ce qui m'a intéressé dans l'affiche. Dans l'édition de livres, on peut trouver les mêmes choses. Le premier livre que j'ai réalisé était un exercice assez drôle : L'embrouille manouche, qui racontait, avec des petits schémas, les techniques d'arnaque dans la rue. J'avais repris les codes visuels des Que Sais-je ? des PUF. De la manière dessinée d'écrire l'histoire Revue d'histoire culturelle, 4 | 2022 Gwenaële Rot, François Vatin : Y at -il des techniques graphiques spécifiques au Proche-Orient qui t'ont marqué ? Nayel Zeaiter : Ce sont à peu près les mêmes qu'ici : panneaux sur des lampadaires, affiches, portraits avec les circonstances de la mort, ou un attribut quelconque. Il y a des symboles qui ne sont pas tout-à-fait les mêmes, des différences culturelles, mais les procédés de propagande sont relativement proches, ici, au Proche-Orient, en Russie ou ailleurs. Dans un pays en guerre ou qui a connu une guerre très récente, comme le Liban, il y a fréquemment des portraits à l'entrée des villes, des villages. Il y a beaucoup de portraits dans ce que j'ai fait. Par exemple, dans mon livre L'histoire de France en 100 planches illustrées 11 , j'ai mis à la fin une galerie de portraits, parce que c'est un peu la trame. Comment je fais les personnages ? Sur quel plan on les met ? Et De la manière dessinée d'écrire l'histoire Revue d'histoire culturelle, 4 | 2022 travaillé sur ordinateur. Maintenant j'ai une pratique quasi de bureau. Le travail pour De la manière dessinée d'écrire l'histoire Revue d'histoire culturelle, 4 | 2022