LES DÉPATRIÉS HISTOIRE POLITIQUE, CULTURELLE, JURIDIQUE ET TRANSATLANTIQUE DES FRANCITÉS CANADIENNES (1763-1860). Thèse déposée à l'UQAM (original) (raw)
2024, UQAM
Le siècle qui suit la conquête du Canada par l'Empire britannique a été abondamment étudié sous l'angle de l'adaptation des Canadiens, anciens sujets français, à leur nouvel environnement politique britannique ainsi qu'à leur voisinage américain. Cette thèse se propose de réenvisager cette période de l'histoire canadienne, mais sous l'angle de la sortie de l'Empire français, en mettant l'accent spécifiquement sur la question de l'appartenance française (la francité) des Canadiens. Le problème de la francité des Canadiens des années 1760 aux années 1860 s'impose d'autant plus que la recherche a bien mis en avant le poids de "l'attachement à la France" dans la rhétorique et les manifestations du nationalisme canadien français à partir des années 1850, ce qui invite à se pencher sur les origines d'un phénomène en apparent décalage avec les dynamiques habituelles d'éloignement politique et affectif entre les nations du Nouveau Monde et les anciennes métropoles européennes contre lesquelles elles se construisirent généralement. Cette appartenance a pu survivre à la Cession sous plusieurs angles. Tout d'abord, sous celui du droit civil français, qui continua, après 1763, à traiter les "Français d'Amérique" comme des ressortissants du royaume, puis de la République. Ce n’est qu’avec l'édiction du Code civil, que les Canadiens sortent de la catégorie effective des Français pour basculer dans celle des « fils de Français ». Étudier le cas des Canadiens donne ici une clé d'entrée pour relire l'histoire de la structuration de la nationalité française sur un siècle. L’appartenance a également pu se maintenir sur le plan des discours politiques français, mis au service de la stratégie impériale de l'ancien régime finissant puis de ses successeurs de la Révolution et de l'Empire, ouvrant les premières réflexions, par le biais d'échanges transatlantiques, sur la possibilité de l'édification d'un État canadien, sous la forme d'une communauté française d'Amérique émancipée en lieu et place d'une colonie politique britannique. Cela sera, pour les pouvoirs français postérieurs à Waterloo, un héritage difficile à assumer et qui sera utilisé contre eux par leurs opposants. Outre cela, l'appartenance française a conservé des usages contrastés au Canada même. Manière de faire l'unité entre des groupes hétérogènes de conquis réunis par leur passé français ou capital juridique exploitable dans des stratégies sociales transfrontalières, l'étiquette fut retournée par le soupçon du pouvoir colonial en motif de traitement spécifique, de défiance, assimilant les Canadiens, quoiqu'ils en pensent, à la puissance rivale de Londres sous la forme d'une francité subie. La Révolution française a profondément renouvelé la problématique en faisant éclater la francité. Elle en a favorisé le rejet, au profit d'une identité canadienne réagencée comme une anti-francité par le clergé et les nouvelles élites canadiennes-françaises, participant aux institutions britanniques. Cependant, la francité a également pu être conservée, notamment dans la noblesse canadienne, sous une forme opposée à la France de l'époque et se rattachant à une xi France d'Ancien Régime sur un mode contre-révolutionnaire, sous la forme d'une francité diachronique. Enfin, l'expression de l'appartenance des Canadiens à la francité a également été pratiquée d'une autre manière, celle de l'adhésion à une forme réactualisée, comprenant l'appropriation de l'expérience révolutionnaire, qu'il faut qualifier de francité synchronique. Cette dernière modalité favorisera l'implantation au Canada, en douceur, de thèmes républicains et de supports de propagande révolutionnaire française. Ce matériel, notamment sous la forme de chansons et de symboles, marquera profondément les franges radicales du mouvement patriote et laissera un héritage qui sera repris par les Canadiens rouges des années 1840-1850. Mais, outre cela, la présence de phénomènes de francité synchronique favorisera la création d'un réseau de solidarité républicaine transatlantique qui tentera de peser sur les évènements et formulera les bases d'une politique possible d'articulation de l'émancipation canadienne appuyée par Paris. Cependant, la défaite des Patriotes ainsi que des républicains français, laissant les retrouvailles franco-canadiennes officielles des années 1850 à la charge des élites réformistes canadiennes et du gouvernement napoléonien, allié de Londres, détourna ces constructions de leurs visées anti-impériales (britanniques). Le thème de la francité des Canadiens sera retourné dans un sens loyaliste, obtenant ainsi une forme de respectabilité dans la société canadienne. Cela favorisa la renaissance de visées interventionnistes françaises à long terme dans un futur canada indépendant.