La pensee de la mort : les certitudes chretiennes face aux angoisses humaines (original) (raw)
La pensée de la mort : les certitudes chrétiennes face aux angoisses humaines. Actes du colloque Présence de Bossuet, Presses universitaires de Dijon, 2005 Dans la nuit du 12 au 13 avril 1704, après une longue maladie qui avait duré près de deux ans et demi, Bossuet rend son dernier souffle. Les hommages se succèdent , et tout le monde loue la constance et la patience du défunt face à la maladie. La mort de Bossuet est donc parfaitement conforme au modèle de la bonne mort qu’on trouve dans les « recueils de belles morts », généralement consacrées à la mort de saints personnages qui, se sentant avertis de la mort, règlent leurs affaires temporelles, établissent leur testament, reçoivent le viatique. Comme ces belles morts, la mort de Bossuet est bien une mort chrétienne, attendue, préparée, désirée, patiemment subie. C’est du moins ainsi qu’elle est rapportée et qu’elle passe à la postérité dans une relation qui ne peut guère être considérée comme la source fiable d’un témoignage historique. En effet, elle a été écrite en vue de la publication, et la publication des récits de mort est rarement liée à des exigences biographiques – on sait bien par exemple que les oraisons funèbres servent moins à louer le défunt qu’à dresser pour l’assemblée le tableau d’un chrétien exemplaire, quelle qu’ait été sa véritable histoire personnelle. Ces textes sont donc rarement le lieu de l’affirmation d’une vérité biographique, mais toujours au contraire des espaces de persuasion – que cette persuasion tienne à des questions religieuses, politiques ou sociales. Tout récit de mort publié donne ainsi moins à connaître la mort de tel personnage qu’à admirer une mort exemplaire, et méditer sur elle. Or, dans le cas de Bossuet nous avons la chance de posséder une autre relation de sa mort, beaucoup plus intime, et non destinée cette fois à la publication : le Journal de Ledieu, le secrétaire de Bossuet, qui avait entrepris de noter dans son journal tout ce qui pourrait lui servir ensuite à écrire les Mémoires du prélat.Ce texte, écrit au jour le jour, n’était donc réservé qu’à lui-même, si bien qu’on peut le tenir pour un témoignage assez fiable : un témoignage subjectif, évidemment, puisqu’il n’engage que Ledieu, mais où on ne retrouve pas les procédés traditionnels de dissimulation propre à l’écriture publique. Loin d’être remaniée, l’écriture de Ledieu est au contraire très réactive, et l’on s’en aperçoit au fur et à mesure du journal : alors que les premières pages du journal consignent essentiellement tout ce qui a trait à l’activité intellectuelle et religieuse de Bossuet, l’arrivée de la maladie de la pierre transforme les notes du secrétaire, qui prête alors de plus en plus d’attention à l’état physique de Bossuet, donnant des descriptions souvent très précises des maux et des remèdes qui lui sont prescrits. En quelque sorte, les notes de Ledieu constituent le journal de la maladie de Bossuet, écrit par une personne très proche qui peut noter le moindre progrès du mal et surtout les réactions du malade. Or, la lecture de ce texte montre bien l’écart qu’il y a de la théorie à la pratique, de la prescription chrétienne aux résistances du corps : en détaillant l’attitude de Bossuet dans sa maladie et face à la mort, ce journal révèle qu’il eut, contre toutes attentes, une mort très éloignée des prescriptions chrétiennes, et fait voir, derrière la constance du chrétien, des angoisses très humaines.