Istanbul, du « seuil de la félicité brisé » à la mégapole internationale (original) (raw)

«Istanbul, métropole eurasienne en effervescence»

Techniques, Territoires et Sociétés, 1998

In : Techniques, Territoires et Sociétés, n°35, "De la ville à la mégapole : essor ou déclin des villes au XXI° siècle?", octobre 1998, Ministère de l'Équipement, des Transports et du Logement, Paris-la -Défense, p.83-91.

"Istanbul, capitale mondiale du XXIème siècle?"

, Paris, L'Harmattan, 2014, p. Résumé : Entre 1992 et 2012, il s'est produit de manière concomitante un spectaculaire changement de dimension d'Istanbul et un changement non moins frappant dans les représentations (autoreprésentations comme représentations de l'extérieur). Les transformations d'Istanbul durant ces deux décennies sont révélatrices des mutations du pays dans son ensemble qui sont autant de l'ordre de la perception que de l'ordre des performances effectives. Istanbul, métropole tant aimée du pouvoir central AKP tenté de quitter Ankara, reflète, impulse, amplifie et anticipe les changements survenus en Turquie. C'est une vitrine et une scène pour le pouvoir, une source de nostalgie et de velléités identitaires. Dans cette perspective, nous analysons le changement démographique et physique survenu entre 1992 et 2012 -le grand étalement -, puis la construction d'une vocation internationale et l'affirmation obstinée d'une métropole tertiaire. Ensuite, nous voyons les changements sociaux survenus pour terminer avec les ambiguïtés de la métropole duale.

Istanbul : étiré, pas écartelé

La mégapole turque, qui réunit l'Europe et l'Asie de part et d'autre du Bosphore, poursuit son développement en affirmant une puissance conquérante. C'est par la mer que j'ai abordé pour la première fois Istanbul, lointaine soeur de Venise par ses perspectives, blottie au fin fond nord-oriental de la mer de Marmara. Et je fus soufflé. Je fus d'abord soufflé par la puissance saisissante d'une situation géographique exceptionnelle. Evidence de l'isthme qui donne à la mégapole toute sa force ; une évidence soulignée par la déchirure structurale du Bosphore qui happe voracement hommes et ressources depuis des siècles. Un isthme qui commande l'alternance fécondante des vents. Chaque mer encadrante-chacune est une fée bienfaitrice ayant présidé à la naissance du monstre urbain-génère son ou ses vents : Poyraz pour la mer Noire, Lodos pour la mer de Marmara. La vie des pêcheurs, comme celle jadis de la marine à voiles marchande ou militaire, est subordonnée à la loi capricieuse de ces vents.

Subversion transmédiale et transculturelle. Regards croisés sur « Istanbul miséreux et désolé »

2021

On connaît l'aphorisme célèbre du Temps retrouvé de Proust : « […] le style pour l'écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision » 1. La manière dont l'écrivain voit le monde conditionnerait donc directement son style. Mais il faut alors se poser une autre question, complémentaire, comme nous le suggère Denise Brahimi commentant le Voyage en Algérie de Théophile Gautier : « Il ne suffit pas de regarder et de voir, il faut encore savoir avec quels yeux on voit » 2. Avec quels yeux ? c'est-à-dire d'une part, en termes diachroniques, avec le regard de ceux qui ont vu avant soi et, d'autre part, en synchronie, avec la vision du monde (die Weltanschauung c'est-àdire une idéologie globale), que l'on partage jusqu'à un certain point avec ses contemporains dans une aire culturelle donnée. Aussi voudrions-nous nous interroger, selon cette double perspective, diachronique et synchronique, sur la manière dont des écrivains, français au XIX e siècle, turcs aux XX e et XXI e siècles ont pu voir Constantinople, ou, plus précisément, l'intérieur populaire de la ville, « l'Istanbul miséreux et désolé » 3 selon l'expression significative d'Orhan Pamuk dans Istanbul, souvenirs d'une ville. Comment naît l'intérêt pour ces zones marginales d'abord honnies, comment l'axiologie d'un tel traitement subit ensuite des inflexions, des subversions, au cours des siècles, tel sera le fil directeur de notre article. Sur le plan théorique, l'étude de la genèse et de l'évolution d'un stéréotype sera pour nous l'occasion, non seulement de prouver l'étroite solidarité entre subversions esthétique et idéologique, transmédialité et transculturalité, mais aussi d'identifier au sein de tels textes un même inconfort interculturel au sens où l'entend Homi Bhabha, c'est-à-dire « la situation des initiations extraterritoriales et transculturelles » 4. C'est en effet sur le terreau fécond de l'ambivalence : indépassable hésitation entre Orient et Occident, tradition et modernité, écriture et arts picturaux, qu'un lignage d'auteurs subversifs peut être reconstitué, dont le caractère le plus significatif serait cette posture philosophique que Jean-Pierre Dubost intitule 1

La gare routière du « Grand Istanbul », une étourdissante plaque tournante

Autrepart, 2004

Dans un pays où le transport ferroviaire est peu développé et où le taux de motorisation privée reste relativement faible 1, la part du transport de personnes par la route (i.e par autobus) est prépondérante pour les liaisons inter-urbaines. Selon certaines estimations, en 2003, plus de 90 % des déplacements de personnes à l'intérieur de la Turquie se feraient par autobus. À l'instar du transport de marchandises par camion, le transport de passagers par autobus revêt donc une importance centrale dans le système des mobilités internes et même externes. De plus, depuis quelques décennies la Turquie aspire à conforter sa situation de carrefour régional, en développant l'ensemble des activités relevant de la logistique. Dans cette économie des transports en plein essor, Istanbul fait figure de point d'articulation majeur et commence à être doté d'équipements plus adaptés à cette «vocation», à l'image de la nouvelle gare interurbaine d'autobus, ouverte en 1994. Articulant des formes de mobilité multiples et des échelles de rayonnement très différentes, au coeur d'une des plus grosses mégapoles du bassin méditerranéen, la «Gare Routière du Grand Istanbul », située dans la proche périphérie européenne, est un lieu d'observation privilégié pour saisir les modes d'organisation et de fonctionnement de l'économie des transports et le pouvoir structurant d'infrastructures destinées à polariser et réguler le trafic. À l'intersection entre dimensions internationale, nationale et locale, la nouvelle gare routière apparaît comme un formidable commutateur de flux, créateur de valeur ajoutée, insérée dans un tissu urbain qu'elle tend à transformer et remodeler. On s'efforcera ici de montrer dans quelle mesure cette nouvelle gare routière, à certains égards surdimensionnée, constitue, un peu à l'instar d'Istanbul dans son ensemble, un «territoire de la mobilité» original, cristallisant de nombreuses * Observatoire Urbain d'Istanbul, Institut Français d'Eludes Anatoliennes (IFEA), cborgel@ifeaistanbul.net. ** Observatoire Urbain d'Istanbul, Institut Français d'Etudes Anatoliennes (IFEA), jfperouse@hotmail.com. 1. Avec seulement 67 véhicules de Iransport privés pour mille habitants en 2003, la Turquie est très en dessous de la moyenne de l'Union européenne qui dépasse les 600.