L’historiographie israélienne aujourd’hui. sous la direction de Florence Heymann et Michel Abitbol, (eds.), CNRS Editions, Paris, 1998 (original) (raw)

Derek J. Penslar, “Nouvelles orientations de l’historiographie israélienne: Au-delà du révisionnisme,” Annales, vol. 59, no. 1 (January – February 2004): 171-193

Il y a une quinzaine d'années, les publications d'un petit groupe d'historiens, qui prétendaient mettre à mal les mythes sionistes traditionnels relatifs à la naissance de l'État d'Israël, aux problèmes des réfugiés palestiniens et au conflit israéloarabe, ébranlèrent l'intelligentsia israélienne 1 . Ces universitaires, que l'on appelle indifféremment « nouveaux historiens » ou « historiens révisionnistes », étaient très largement hostiles à la politique israélienne qu'ils considéraient agressive sur le plan militaire et en grande partie responsable du conflit qui oppose le pays à ses voisins arabes. Pendant plus de dix ans, des débats furieux entre champions de la « nouvelle histoire » et défenseurs de l'histoire traditionnelle animèrent les milieux universitaires et débordèrent dans les colonnes de la presse israélienne.

Les nouveaux historiens israéliens face à la société israélienne

g é o p o l i t i q u e , g é o é c o n o m i e , g é o s t r a t é g i e e t s o c i é t é s d u m o n d e a r a b om u s u l m a n Avril-Mai 2010 • 10,95 € Magazine bimestriel • Numéro 05 bagdad Al-Hakim, nouvel arbitre de la scène politique irakienne ? le caire Vers la fin des Frères musulmans en Égypte ? sanaa Le Yémen, nouvel instrument de la diplomatie américaine ? Les ArAbes d'IsrAëL : un enjeu poLItIque mAjeur pour teL-AvIv

En marge de la Palestine. Comment lire l'historiographie druze en Israël?

L'objet de cette réflexion collective aurait-il été une histoire sociale de la mémoire libanaise et une mise en perspective de ses usages politiques, il n'aurait probablement pas semblé incongru de proposer qu'une lecture historiographique puisse s'inscrire dans un cadre communautaire. Cela aurait même été le point de vue attendu, comme un développement au travail d'Ahmad Beydoun 1 sur la confrontation entre les récits confessionnels devenu un classique pour quiconque s'intéresse aux modalités du discours sur l'histoire au Liban. Il en va autrement lors que l'enquête porte sur la société palestinienne. L'implicite est alors à l'opposé, façonné par la perspective d'une histoire sinon unifiée, du moins partagée ou plutôt rendue commune par l'événement matrice de la catastrophe de 1948 et de ses redites. Voilà qui pose d'emblée la question de la place de la nakba dans la construction d'une « mémoire palestinienne » 2 comme définissant la 1 Ahmad Beydoun, Identité confessionnelle et temps social chez les historiens libanais contemporains, Beyrouth, Librairie orientale, 1984. 2 Mémoire palestinienne est placée entre guillemets dans le texte afin d'attirer l'attention sur les problèmes méthodologiques que pose l'attribution implicite de la faculté de mémoire à un collectif quand seuls les individus se souviennent. Ce problème du passage de l'individu aux « rhétoriques holistes » s'agissant de la mémoire est bien étudié par Joël Candau (Mémoire et identité, Paris, PUF, 1998, pp. 20-47). En suivant ces critiques et les analyses de l'anthropologie cognitive développée par Dan Sperber, je propose donc de lire « mémoire palestinienne » comme cet ensemble de représentations publiques stables car communiquées de façon répétées par un petit nombre d'individus et partagées ensuite par la majorité (Dan Sperber, La Contagion des idées, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 40). Il s'agit ici de la part consciente, puisqu'exprimée par des individus particuliers, de représentations qui sont donc idées, discours, points de vue, opinions dont on peut dire que l'ensemble est une vision du monde. Dans cette acception, la mémoire non représentable de manière cognitive, la mémoire de l'habitus bourdieusien n'entre pas dans l'expression « mémoire palestinienne ».

Maurice Kriegel, “La société israélienne et le passé juif,” Le Débat, no. 82 (November-December 1994): 98-116

La société israélienne et le passé juif La société israélienne commémorera d'ici trois ans ses origines avec la fondation en 1897 du mouvement sioniste : elle a déjà une histoire vieille d'un siècle. Et même un peu plus longue, puisqu'une société juive moderne en Palestine se constitue à partir des années 1880, lorsque les immigrants venus alors de Russie et de Roumanie se démarquent délibérément de l'ancienne population juive établie en Terre sainte pour les motifs religieux traditionnels. À l'exemple des mouvements nationalitaires exaltant un passé collectif dont le lustre est censé légitimer leurs aspirations, le sionisme est bien une idéologie-mémoire. Mais l'étendue exceptionnelle du passé qu'il revendique et la résolution d'instituer dans l'histoire juive un nouveau cours, fondé sur le refus d'un modèle diasporique pourtant consacré par le passage des siècles, l'inclinent plus qu'aucun autre nationalisme à s'interroger continûment sur les modalités de l'ajustement entre visée de continuité et pari sur la rupture. Depuis donc quelque cent vingt ans, le sionisme et, avec lui, la société israélienne qui en est issue et s'en réclame n'ont cessé de scruter le passé juif pour y distinguer la part respective de ce dont ils se veulent les légataires et de ce qu'ils prennent le parti de rejeter. Et, subsidiairement, de corriger les versions de leur propre histoire, à mesure que les renouvellements de la mémoire collective spontanée ou les incitations d'un milieu politique dirigeant au tour d'esprit fortement pédagogique imposaient un effort de révision.

Maurice Kriegel, “Un programme multiculturel pour Israël? Les ‘nouveaux historiens’,” Le Débat, vol. 104, no. 2 (1999): 149-161

Lorsqu'ils conduisaient leurs premiers travaux, au début des années quatre-vingt, les futurs « nouveaux historiens » israéliens travaillaient dans l'isolement : à l'étranger ou à l'écart des principales institutions de recherche israéliennes. On les aurait probablement étonnés en leur prédisant que leur entreprise allait combler l'attente d'une histoire libérée d'exigences militantes et rencontrerait rapidement un large écho. C'est pourtant en collant sans trop le savoir à un renouvellement de la demande venue d'un public désormais méfiant à l'égard du discours d'autocélébration et avide d'informations que l'effort des « nouveaux historiens » s'est révélé scientifiquement efficace. Mais l'incapacité à autonomiser leurs orientations de recherche par rapport aux préoccupations et à la sensibilité caractéristique de l'opinion (ou, en tout cas, de l'opinion de gauche) a enfermé les « nouveaux historiens » et, avec eux, les « sociologues critiques » venus entre-temps les épauler ou les relayer dans les dilemmes de ce qu'il a été convenu d'appeler le « post-sionisme ». Elle a réduit la potentialité innovatrice de leur interrogation intellectuelle ; nombre d'entre eux se sont contentés de soustraiter une adaptation locale des différents produits évoluant entre les études post-coloniales et la « théorie critique », que le campus nord-américain écoule en grande quantité.