Allusions, silences et ellipses. Le secret des correspondances politiques de Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, secrétaire d'État (royaume de France - c. 1570 - c. 1595). (original) (raw)

« Nous avons perdu toute creance et esperance des uns aux autres, de sorte que nous attribuons à art et tromperie les ouvertures que nous faisons de part et d’autre (…). [O]ù la confiance defaut les parolles sont inutiles, principalement celles qui sont privées et secrettes. C’est pourquoy je vous ay souvent supplié (…) faire manier et traicter publiquement et par personnes publiques les affaires generalles, estimant n’y avoir un autre moyen d’arrester le cours du mal qui nous va accabler que cestuy-là.», Lettre de Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, au duc de Mayenne, 2 janvier 1594, publiée dans la Nouvelle collection des mémoires pour servir à l'histoire de France depuis le XIIIe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe, t. 44, 601 p., p. 481 Quels savoirs fondent en fait et en droit le pouvoir de l’écrit politique dans le contexte des troubles civils de religion ? Quelles instances sont chargées de la récollection experte des informations éparses, lacunaires et bruyantes qui parviennent des marges et du cœur du royaume, des potentats alliés et des nations ennemies ? Comment ces informations recueillies sont ensuite soigneusement lissées par le travail des « bureaux » de la monarchie valoisienne afin de fonder nombre de décisions politiques complexes, de les rendre efficaces et de limiter leurs implications néfastes ? Ces premières questions adressées aux volumineuses correspondances du principal secrétaire d’État français, de Charles IX à Louis XIII, Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, tracent les contours de notre recherche doctorale. Un des aspects centraux du travail des « bureaux » retient notre attention : il s’agit de la structuration d’intenses canaux d’informations pour relier ensemble de nombreux et nécessaires correspondants. L’analyse montre rapidement que cet objectif s’affronte à deux enjeux d’apparence contradictoire : comment transporter continûment l’information la plus fine et précise possible tout en la scellant aux nombreuses puissances et menées adverses ? Dès lors, quelles sont les techniques du secret identifiables dans la documentation politique, façonnées et maniées par les secrétaires d’État ? Quels discours les acteurs politiques tiennent-ils sur leurs pratiques visant à assurer la confidentialité des dépêches ? Quelle utilisation publique et politique est réservée à l’interception des papiers d’États de potentats ennemis ? Enfin, quelles sont les conséquences pour l’analyse historienne des techniques raffinées du secret, de la pratique de l’oralité, de l’allusion, des silences nombreux qui piègent et tordent les séries de correspondances, constituant ainsi des obstacles majeurs à la reconstitution de l’économie générale des papiers d’État. Écumes des décisions, d’ensembles documentaires plus vastes mais détruits ou perdus, échos des murmures du cabinet royal et du chuchotement des « bureaux », les correspondances inquiètes de Villeroy invitent à une plongée dans une histoire potentielle et ouverte de l’État moderne. Partant, notre propos tentera de déterminer par hypothèses les principales raisons politiques et graphiques de ces nouveaux et nécessaires agents qui structurent les arcanes du pouvoir royal dont l’appareil administratif se pense et se vit hanté par un double sentiment obsidional : celui de la dissension interne et des guerres étrangères. Colloque "Arcana Imperii. Gouverner par le secret dans l’Espagne moderne". 16 et 17 avril 2015, Casa de Velázquez https://www.casadevelazquez.org/pt/investigacao/noticia/arcana-imperii/