Épistémologie Du Web (original) (raw)

2022, Zagadnienia Naukoznawstwa

En trente ans, le rapport d'Internet à l'entreprise scientifique a changé. Nous sommes passés d'un instrument de collaboration scientifique à un dispositif de réseaux sociaux qui assure la plus large diffusion à l'irrationalisme et à l'alt-factualisme. Pour comprendre ce changement, il convient de réexaminer les mécanismes de la convergence des opinions. La première source de cette convergence est l'existence d'un monde commun, qui nous expose aux mêmes faits et qui détermine par révision successive des croyances de chacun, sans que la moindre communication soit requise, une convergence asymptotique des opinions, et ce quelles que soient les croyances de départ. Naturellement, si les faits connus par les uns sont communiqués aux autres, cette convergence s'accélère considérablement, si bien que nous devons considérer la connaissance comme le résultat d'une activité collective, et l'échange d'informations comme l'une de ses sources nécessaires. D'une part, cette coopération épistémique est naturelle et facilement implémentable : en vertu des propriétés caractéristiques de l'information, qui est un bien que nous conservons lorsque nous le donnons, le partage informationnel est exempt des difficultés qui affectent généralement la coopération. D'autre part, cette coopération est intrinsèquement productive : la collaboration entre celui qui sait que φ et celui qui sait que φ implique ψ met chacun des deux agents en possession de la connaissance de ψ, qui n'était pourtant détenue par personne avant l'échange. L'internet des débuts donne à cette coopération informationnelle une ampleur inégalée. La situation actuelle est différente. Un certain nombre de facteurs, dont la porosité croissante entre les scientifiques et le large public, ont mis au premier plan l'échange, non des informations factuelles, mais celui des opinions. Les biais notoires de la psychologie humaine, au premier rang desquels le biais de confirmation, tendent à inverser le rapport entre les faits et les opinions. On cherche les faits confirmant les opinions entretenues, on met en doute les faits récalcitrants et l'on crée des faits corroborants. En bref, on passe d'une problématique de la coopération à une logique de l'affiliation, segmentant l'internet en groupes doxastiques homogènes.