Le même et l'autre Philosophie de l'altérité (original) (raw)

Je vous remercie de m'offrir à nouveau l'occasion d'être pour un soir le philosophe de service, fonction et dénomination sur lesquelles je ne reviendrai pas puisque je m'en suis déjà expliqué à d'autres occasions et que, si vous me le permettez, je considèrerai cette assemblée que j'ai le plaisir de rencontrer pour la troisième fois comme un seul et « même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement », selon la célèbre formule de Pascal 2. Nous avons examiné précédemment deux processus qui occupent ensemble une place centrale dans l'activité philosophique et qui ont été, pour cette raison, contemporains de la naissance de la philosophie en Grèce ancienne : la transmission et l'émancipation. Ce sont en effet les deux grandes modalités de l'affrontement, longuement mis en scène par Platon, entre la continuité et la rupture et donc entre ce qui demeure et ce qui change, c'est-à-dire entre ce qui demeure le même et ce qui devient autre. Il nous reste donc à examiner à titre de synthèse, dans le prolongement de nos précédentes réflexions, ce qui a été le moteur de la pensée de l'Occident, à savoir la dialectique du même et de l'autre et la fonction de l'altérité dans la construction de la rationalité. Les deux mots grecs, autos, le même, et allos, un autre ou l'autre-dont il n'y a même pas besoin d'évoquer la descendance étymologique tant elle est pléthorique 3sont déjà parmi les termes les plus employés, et peut-être les plus employés chez Platon puis chez Aristote et dans toute la philosophie antique. L'identité et l'altérité, pour utiliser cette fois leurs équivalents, les substantifs latinisés correspondants, ont été eux aussi deux catégories majeures, et cela se comprend, car élaborer un concept, ce qui est toujours la première tâche du philosophe, c'est rassembler le même qu'on arrive à regrouper et à unifier, et rejeter comme étant autre tout ce qui n'entre pas dans cette unification ou ce regroupement. Je dirai, dans le langage des logiciens, que l'autre et le même renvoient aux deux éléments qui constituent la structure de tout concept, son extension et sa compréhension. Mais ce n'est pas seulement au resurgissement de cette problématique ancienne que nous allons nous consacrer car entre temps, la modernité, sur ce point comme sur tant d'autres, a largement fait écho à l'Antiquité et l'a considérablement relayée : avec une saisissante symétrie, la question du même et de l'autre qui était au coeur de l'ontologie antique se retrouve, et avec la même intensité, dans la pressante interrogation contemporaine sur l'identité et la différence. L'ancienneté de cette question et sa persistance à travers le temps montrent bien qu'elle est constitutive du discours de l'Occident, c'est-à-dire de l'histoire de la raison. Elle sera au centre de notre réflexion d'aujourd'hui, que je vous propose d'organiser, si vous voulez bien, selon trois étapes, comme toujours ontologie, épistémologie, éthique. D'abord, je vais essayer de tracer dans ses grandes lignes une philosophie générale du même et de l'autre et de montrer la place que tient l'altérité à la fois dans la constitution de la réalité et dans la genèse de la pensée et plus particulièrement de la philosophie. J'envisagerai ensuite l'altérité dans ses dimensions de relation à autrui et de mise en rapport entre des mondes différents et surtout dans