Périphrase baroque et néo-baroque - Élision, illusion, énigme (original) (raw)

La surabondance de discours déplorant un manque d'attention suspecté de prendre des proportions pathologiques s'identifie souvent à une litanie réactionnaire. Cette litanie pèche généralement par au moins quatre formes de simplification. D'une part, elle se conjugue sous le mode d'une crise sans précédent, véritable mal du (nouveau) siècle (amnésisme). D'autre part et ceci explique sans doute cela elle fait porter la plupart de ses accusations sur les appareils de médialité numérique (écrans d'ordinateurs, tablettes, smart phones) qui nous distraient de notre environnement immédiat pour nous rendre accros à des jeux fictionnels ou à des socialités lointaines (technologisme). Troisièmement, cette litanie articule généralement les problèmes en termes strictement individualistes, blâmant « les jeunes » pour leur addiction aux réseaux sociaux ou aux jeux en ligne, quand elle ne les innocente pas sous couvert d'un Trouble de Déficit Attentionnel et/ou d'Hyperactivité (TDAH), traité par voie médicamenteuse (individualisme). Enfin, cette litanie repose sur une opposition simpliste entre une attention érigée en Bien absolu et une distraction assimilée à un Mal irrémédiable (manichéisme). Il importe de prendre un recul critique face à de tels discours-bien intentionnés, et exprimant un malaise dont les causes sont bien réelles, mais néanmoins leurrants 1en prenant leur contrepied sur chacun de ces quatre points. Comme l'a bien montré Jonathan Crary, il y a plus d'un siècle que notre faculté d'attention est régulièrement dénoncée comme étant au bord de l'effondrement : c'est tout le capitalisme industriel qui induit depuis les années 1880 une « crise permanente de l'attention » 2. Quoique les symptômes de cette crise permanente se déclinent toujours différemment selon les innovations de médialité qui caractérisent chaque époque (presse périodique, télégraphe, radio-TV, ordinateurs en réseaux, smartphones), nous sommes bien davantage mis sous pression par nos rapports de production, par nos dynamiques économiques, par nos régimes de propriété et de répartition des revenus, que par les objets technologiques eux-mêmes. Même si chacune de nous perçoit ces pressions et les souffrances qu'elles induisent à sa petite échelle individuelle, ce sont avant tout des logiques collectives et environnementale qui sur-sollicitent nos attentions-et c'est d'abord au niveau de ces dynamiques transindividuelles qu'il convient de leur trouver des solutions. Enfin-et c'est le mérite de l'ouvrage qu'on tient en main que d'en faire l'affirmation, et d'en décliner les enjeux le manichéisme implicite aux discours les plus couramment tenus sur « la crise de l'attention » repose sur une simplification à la fois évidente et trompeuse. Oui, bien sûr, il est généralement mieux de se concentrer sur ce que l'on fait (si l'on entend bien le faire), et, oui encore, une distraction peut avoir des conséquences dramatiques, par exemple si l'on conduit une voiture ou si l'on surveille le bon fonctionnement d'une centrale