Natures | Introduction (original) (raw)
Alors que les questions environnementales sont au cœur des préoccupations contemporaines, les fictions audiovisuelles traitant d’écologie ne cessent d’affluer sur les écrans. En effet, depuis le début du siècle dernier, plusieurs films et séries de genres environnemental, écologique et expérimental prennent « la nature » comme sujet. Que cela soit dans un registre paysager, bucolique, dans une perspective morale, militante, sous le signe de la catastrophe imminente, ou de la transformation la Terre, les animaux, les mondes végétaux, minéraux, et humains accusent des ravages épouvantables causés par les industries capitalistes. La nature prend alors plusieurs formes. En tenant compte des nombreuses découvertes issues de la philosophie environnementale, de l’écologie profonde, ou de l’anthropologie qui ont déjà défini et redéfini le concept de nature, ce troisième numéro d’archifictions propose de s’intéresser spécifiquement aux diverses figures de la nature retrouvées dans les films et les séries de fiction, dans le cinéma expérimental et documentaire. À partir de ces images, il s’agit alors de distinguer les rapports, culturels, symboliques, spirituels et historiques imbriqués, que les humains entretiennent avec la nature. Plusieurs hypothèses soutiennent que l’invention de la machine à vapeur a fait basculer l’ère géologique de la Terre dans ce que beaucoup appellent tour à tour l’anthropocène (Crutzen, 2007), la chtulucène (Haraway, 2016), la technosphère (Guattari, 1993), ou d’autres déclinaisons possibles autour d’un nouvel ordre terrestre. Comme Bruno Latour, nous pensons ici que « la capacité des humains à tout réarranger autour d’eux est une propriété générale des vivants » (2015), et depuis Jakob von Uexküll, nous sommes conscient·e·s que tous « les organismes créent et façonnent réellement leur environnement » (1934). Néanmoins, depuis l’époque pré-capitaliste, et plus encore depuis l’ère industrielle, les humains instrumentalisent la planète comme aucune autre espèce auparavant (Merchant, 1980). L’état des lieux formulé par Alexandre Federeau rappelle effectivement que les activités humaines sont une « force géologique et évolutive active qui transforme les milieux sur une échelle planétaire » (2017). Dans ce sens, Bernard Stiegler a raison d’insister sur le fait que les pratiques économiques, énergétiques et industrielles « anthropisent » la Terre (2018). Quant à Isabelle Stengers, elle fait preuve de discernement lorsqu’elle nous invite à penser avec Vandana Shiva et d’autres écoféministes que « la rationalité qui nous a fait privilégier les monocultures, dans les champs ou à l’école, est destructrice de mondes » (2019).