Sur l’impact de la vidéo dans les dernières mises en scène de Krystian Lupa. La question du screen test (original) (raw)
2014, DOAJ (DOAJ: Directory of Open Access Journals)
L'analyse du travail scénique de Krystian Lupa est quasiment inévitable, si on soulève la question de la mise en scène contemporaine européenne et ses caractéristiques. Non seulement, il s'agit de l'artiste emblématique du théâtre polonais qui a su garder son autonomie créatrice durant les différentes périodes politiques de ce pays, mais également du porteur d'une parole universelle écoutée et comprise à l'étranger. Lupa est également un metteur en scène d'une grande curiosité créatrice pour qui la notion d'expérimentation n'est pas étrangère. Il serait difficile d'oublier dans ce contexte son travail de formation en mise en scène : il est un pédagogue remarquable à l'Ecole nationale supérieure de théâtre (PWST) de Cracovie et a déjà formé plusieurs artistes. En effet, ayant aujourd'hui 71 ans, Lupa aime toujours le défi, la provocation, la transgression de soi et une incessante négation de ce qu'il a figé comme esthétique, comme image artistique. Nous avons envie de dire qu'il se nourrit de cette permanente oscillation entre la création d'un univers et son passage vers le chaos. Piotr Skiba, son acteur le plus fidèle, énonce une remarque intéressante à ce propos : « [Lupa] évitait toujours d'être fixé, parqué en tant qu'artiste, de se pétrifier dans une manière ou un vieux « trait » bien travaillé. Il se fuyait alors lui-même, il fuyait les tendances naturelles d'un artiste à succès. Ce qu'il a fait […] dans 'Factory 2' est justement une révolte inouïe contre soi-même, extrêmement courageuse, presque sauvage. » En suivant cette perspective de son travail, nous souhaitons étudier dans cet article une nouvelle composante que Lupa introduit dans ses derniers spectacles et qui est le dispositif vidéo. En rappelant d'abord quelques caractéristiques de sa mise en scène, nous nous concentrerons ensuite sur l'impact de l'utilisation de la caméra et de l'image vidéo, notamment dans 'Factory 2', 'Persona. Marylin' et 'Salle d'attente. Nous proposons une thèse selon laquelle Lupa, en introduisant le dispositif de captation d'image, crée un dialogue esthétique avec l'art vidéo, mais surtout revisite le travail sur le monologue intérieur, le fondement de sa mise en scène en le confrontant avec le screen test. Il propose ainsi un processus d'hybridation, proche de l'intermédialité qui donne une nouvelle dimension à sa mise en scène. Mise en scène d'après Lupa : les constances Le metteur en scène polonais a une vision multiple de la scène et il conçoit souvent un spectacle sur plusieurs niveaux. Il adapte le texte choisi et parfois même le traduit, il élabore le projet de la scénographie, souvent minutieusement, à travers les dessins, les notes. Il voit également de cette manière le personnage qu'il esquisse, annote ce qu'il imagine déjà en costume. Durant le processus de création, il dessine et écrit beaucoup, ce qui constitue un témoignage précieux des répétitions. Il est alors un metteur en scène qui rassemble plusieurs compétences scéniques et crée une perspective multidimensionnelle d'un spectacle vivant. Il est également le créateur d'une Utopie, cet univers qui se trouve en chacun de nous, composé des sensations, des rêves, et qui peut surgir sur scène à travers l'acteur. Lupa se demandait dans les années 1990 : « Comment créer une réalité autonome, une vraie Utopie, qui commencerait à parler à travers l'acteur ? Comment la garder, comment la conserver en soi-même, comment l'apporter à la maison, comment l'inciter de nouveau à l'existence ? »