May CHEHAB and Apostolos LAMPROPOULOS (eds.): AutoBioPhagies, Berne…/Vienna, Peter Lang (coll. « Littératures de langue française 18 »), 2011, p. 3-10. (original) (raw)

Lecteurs et lectures des Communistes d’Aragon, Presses Universitaires Franc-Comtoises, coll. Annales Littéraires n° 687, Série « Linguistique et sémiotiques » n° 38, 2000, 323 p.

Lecteurs et lectures des Communistes d’Aragon, livre issu d’une thèse soutenue en 1992, élit le point de vue de la réception pour aborder un texte romanesque en prise sur une époque. L’approche combine différentes disciplines : histoire contemporaine, histoire littéraire et analyse des discours. Aragon publie une première fois sous la forme de fascicules entre 1949 et 1951, ce roman à thèse dont la diégèse se situe de février 1939 à juin 1940. Il entreprendra, non de compléter ce roman selon le projet initial (couvrir la période de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’en 1945), mais de le récrire quinze ans plus tard, la seconde version paraissant en 1966. La comparaison des deux versions, sans être le propos central de l’ouvrage, est abordée à plusieurs reprises sur des points importants (par exemple le traitement du personnage de Orfilat-Nizan). La première partie (La réception et son contexte) s’attache à décrire le contexte historique, sociologique et discursif de la période de publication : en pleine Guerre froide, le PCF durcit ses positions idéologiques, tandis qu’Aragon défend un art de parti sous l’emblème du réalisme et de l’héroïsme national. La place du PCF dans la société française de l’époque, ainsi que ses positions en matière culturelle permettent de comprendre les enjeux de la rencontre manquée entre Aragon et ses lecteurs, en juin 1949 : la fiction et l’élaboration littéraire sont escamotées par les lecteurs du fait de l’illusion référentielle et d’une perspective identificatoire forte liée aux événements récents (persécution des communistes en 1939-1940, participation à la Résistance). La réception du texte est donc historiquement et idéologiquement marquée. Dans la deuxième partie (Le Discours des experts) l’analyse d’une soixantaine d’articles de presse (jusqu’alors non identifiés), émanant des intellectuels et des cadres du parti, dégage certaines constantes de la rhétorique communiste de l’époque. Outre la reconnaissance de militants qui s’y voient comme en un miroir élogieux, ce roman a été prétexte à une (re)définition du rôle de l’écrivain communiste et de la production attendue de lui. Ce discours militant est envisagé sur le plan énonciatif : une certaine rhétorique le caractérise, avec une présence très forte de l’ennemi, face auquel se met en place un « nous » communautaire. L’étude des articles non communistes, en nombre restreint, montre une réception plus contrastée, même si la même réduction s’y opère au profit du référentiel et de l’idéologique : le roman est le plus souvent tenu pour un ouvrage de propagande. En dernier lieu (troisième partie : La Lecture fictive dans Les Communistes), l’étude du roman est menée par une entrée inédite : celle du lecteur fictif, soit le personnage représenté en train de lire journaux ou romans. La lecture est en effet une situation narrative importante du roman. Les lectures fictives permettent de caractériser le personnage romanesque, dont elles constituent un des traits sémiotiques fondamentaux. Par ailleurs, elles font émerger les riches réseaux intertextuels qui travaillent en profondeur le roman sous les espèces de l’allusion, de la mention, de la citation, avec valeur d’évaluation plus ou moins directe, positive ou négative : intertextes littéraires ou historiques, ils peuvent devenir des éléments de la psyché du personnage. Dans le même temps, les lectures fictives se posent comme lieu d’insertion de l’idéologique, puisque les personnages évaluent leur lecture. C’est donc la “ligne” du Parti qui s’inscrit de la sorte dans le roman, tandis que le lecteur fictif propose un modèle de comportement et d’actions au lecteur réel. Pourtant, le discours romanesque, en dépit de l’engagement et de l’ambition didactique qu’il revendique n’est pas monolithique : il élabore un patchwork, un univers langagier à la croisée des discours et des opinions publiques de la drôle de guerre. Le livre comporte une bibliographie, un index des noms propres et titres de journaux et de publications périodiques cités, ainsi d’une annexe (tableau de correspondances entre les deux versions du roman).