Entre Fanatisme et Folie Religieuse : une étude comparative de l’enthousiasme en Angleterre et en France (1520-1760 ) (original) (raw)
2009, Histoire de la Folie II
Abstract
La Réforme protestante marqua l'apparition d'une conception personnelle de la foi, qui chez les plus dévots pouvait aller jusqu'à la folie. Luther désignait lui-même cet enthousiasme par le mot « schwärmer » en raison de l'effervescence fanatique des factions radicales, qu'il jugeait pareille à un bourdonnement d'abeilles. 1 Le terme « enthousiasme » entra également dans la langue française dès le XVI e siècle pour dénoncer la physicalité de ce fanatisme. Du grec « entheos », qui signifie « animé d'un transport divin », l'enthousiasme se caractérisait généralement par des états de transe et de violentes convulsions, au cours d'inspirations prétendument divines. Ce n'est que vers la fin du XVII e siècle qu'il revêtit une double signification, comme l'abbé Furetière le définit: ENTOUSIASME : Fureur prophétique ou poëtique qui transporte l'esprit, & qui luy fait dire des choses surprenantes & extraordinaires. 2 Voltaire confirma plus tard cette distinction entre inspiration artistique, donc créative, et le fanatisme destructeur de la religion en ces termes: L'enthousiasme est précisément comme le vin: il peut exciter tant de tumulte dans les vaisseaux sanguins, et de si violentes vibrations dans les nerfs, que la raison en est tout à fait détruite. Il peut ne causer que de légères secousses, qui ne fassent que donner au cerveau un peu plus d'activité: c'est ce qui arrive dans les grands mouvements d'éloquence, et surtout dans la poésie sublime. L'enthousiasme raisonnable est le partage des grands poètes. 3 C'est précisément de sa forme irrationnelle dont il est ici question, à propos de laquelle Voltaire s'interrogea: Les Grecs inventèrent-ils ce mot pour exprimer les secousses qu'on éprouve dans les nerfs, la dilatation et le resserrement des intestins, les violentes contractions du coeur, le cours précipité de ces esprits de feu qui montent des entrailles au cerveau quand on est vivement affecté? 4 Il faut ainsi se figurer l'enthousiasme comme un fanatisme du corps tout autant que de l'esprit. Le philosophe huguenot Pierre Bayle considérait d'ailleurs ces agitations comme des composantes essentielles de l'enthousiasme: « Les fanatiques qui n'ont ni convulsions, ni extases prophétiques, sont les plus suspects de fourberies. » 5 1 Michael Heyd, Be Sober and Reasonable: The Critique of Enthusiasm in seventeenth and early eighteenth centuries, New York: E.
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- 58 Hecquet cite ici le cas d'une jeune fille extatique de 23 ans qui aboyait comme un chien suite à un hoquet particulièrement violent. Elle fut guérie en 1698, plongée par surprise dans un bain d'eau froide, selon les techniques d'usage. En Angleterre, le docteur Patrick Blair en fit sa spécialité dès 1725. Allan Ingram, Patters of Madness in the Eighteenth Century, A Reader, Liverpool University Press, 1998, pp. 73-75.
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