La perte de l'identité. L’Enquête de Philippe Claudel (original) (raw)

2023, les Actes du colloque Philippe Claudel. Écrire et rêver les images, Éditions de l’Université de Lorraine, 2023 sous la direction de Marie Joqueviel-Bourjea et Anne Strasser

L’Enquête ne relève ni de la dystopie, ni du témoignage de l’ère totalitaire et concentrationnaire comme L’Archipel du Goulag (Alexandre Soljenitsyne, 1974), La Nuit (Élie Wiesel, 1958) ou Journal de la félicité (Nicolae Steinhardt, 1991), qui décrit la relation qui s’est installée dans la prison communiste entre le narrateur-auteur et la peur. Si, comme fiction, L’Enquête ne peut évidemment pas être mesurée à des documents réels, le roman fait cependant signe vers ces univers : il alerte sur les menaces contemporaines car il montre à quel degré l’homme « libre » peut être aveuglé et intimidé par des méthodes de répression héritées du régime totalitaire. Il manifeste ainsi la perte de l’identité de l’homme moderne, de l’homme vivant dans une société occidentale où il devient un numéro, un quelconque parfaitement manipulable. L’Enquête, roman çà et là qualifié de « dystopique », « kafkaïen » ou « fantastique », engendre plusieurs interprétations puisqu’il décrit un univers obscur peuplé de rôles joués par chaque être humain afin de rendre la société moderne efficace en termes de productivité. Par sa référence à une réalité sociopolitique et économique liquide, mais également parce que la fiction de P. Claudel fait appel à un objet extérieur à la littérature qui est, dans son cas, la mémoire collective et les connaissances de ses lecteurs, je compare, dans la deuxième partie de cette étude, le roman à une fiction posthumaniste1. Je mettrai en évidence l’originalité du discours de P. Claudel par rapport à d’autres romans ou essais qui traitent également du thème de la robotisation, de l’uniformisation de l’être humain et de sa relation avec la peur, en soulignant à la fois ses emprunts et ses singularités