La traduction comme métaphore (original) (raw)
La traduction comme métaphore 1 J'ai connu des écrivains obtus et même bêtes. Les traducteurs, en revanche, que j'ai pu approcher étaient plus intelligents et plus intéressants que les auteurs qu'ils traduisaient. C'est qu'il faut plus de réflexion pour traduire que pour « créer ». Emil Cioran 2 1. Texte-source, texte-cible. La notion de « source » en question ici est évidemment métaphorique. Elle implique le réseau conceptuel de la temporalité, en l'espèce d'une temporalité linéaire, celle propre à un cours d'eau qui, depuis son origine, s'écoule vers ses confluents et, au bout du compte, à la mer : il y a un avant et un après, un départ et un développement, un « amont » et un « aval ». On a souvent associé l'image de la « source » au champ de la traduction, notamment en superposant le processus de la traduction à son résultat, l'acte de traduire à l'oeuvre traduite. Le terme traduction désigne aussi bien le fait de traduire [il tradurre, en italien] que le produit fini 3. Et on a alors considéré la traduction, objet final, comme un texte-cible (TC) traduit en une langue d'arrivée, depuis un texte rédigé en une langue de départ, dit justement texte-source (TS), dont la traduction tente d'exprimer ou de restituer la signification et les formes. Ce réseau métaphorico-terminologico-conceptuel nous rappelle qu'à différents moments de son évolution, la pensée traductologique s'est interrogée sur la notion de source, impliquée dans une prise en compte prioritaire du texte original, de la langue originale du texte à traduire, du contexte culturel qui, en amont, en constitue le cadre. Elle s'est ainsi articulée en différentes approches sourcières enjoignant au traducteur de demeurer aussi strictement que possible fidèle à la morphologie du TS, dont il s'efforcera de reproduire les éléments stylistiques, tout en employant le même « ton », et tout en laissant, dans la mesure du possible, ses éléments culturels intacts. Selon le paradigme le plus l'extrême de la pensée sourcière, le traducteur en arrivera à contraindre la langue d'arrivée à prendre la forme dictée par le TS. Le sourcier veillera en premier lieu à ne pas trahir ou déformer le véhicule employé par l'auteur, et tâchera ensuite de bien restituer le sens du message. L'auxiliaire naturel du sourcier, c'est la note en bas de page, dont on connaît certaines formes paroxystiques, comme, par exemple : « jeu de mots intraduisible ». Aux écoles de pensée sourcière, on le sait, s'opposent les écoles de pensée cibliste, ou doctrines du skopos 1 , selon lesquelles il faut privilégier l'exactitude des propos aux dépens, si cela s'impose, de la stylistique et de la précision des références. Le plus important est le sens du texte. Le traducteur doit d'abord faire passer ce sens de manière idiomatique et naturelle en langue d'arrivée, tout en essayant, en seconde instance, de demeurer fidèle au langage, au registre, au ton adopté par l'auteur en langue de départ. Pour les ciblistes, la traduction est une mise en culture et une transplantation 2. Il s'agit de transférer des formes-fonds prenant sens dans une culture donnée vers une autre culture, ce qui peut requérir le recours à d'autres images, tournures, formes et contenus 3. En France la querelle entre sourciers et ciblistes 4 trouve ses champions respectifs avec Henri Meschonnic et Jean-René Ladmiral-lequel, d'ailleurs, fut l'inventeur des termes du dilemme, lors d'un colloque en 1983. D'un côté, Henri Meschonnic incarne une tendance traductologique vouée à produire un effet d'étrangeté (source-oriented) et propose une traduction proche de celle qu'on dit littérale, propre à ramener sans cesse le lecteur étranger vers des éléments typiques du texte original, pour qu'il ne puisse jamais oublier que ce qu'il lit est une traduction. Cette tendance se reflète, bien sûr, dans les