Traduire les « gros mots » du hongrois en français (original) (raw)
2020, Revue d'Études Françaises
Traduire les « gros mots » du hongrois en français Il s'agit ici d'un compte rendu d'expérience qui ne prétend pas à l'exhaustivité. Nous sommes des praticiens de la traduction et non des théoriciens, ce qui ne veut pas dire que nous ne nous posions pas des questions théoriques. Mais nos questionnements et approches théoriques se nourrissent de notre pratique : la problématique de l'argot et plus particulièrement celle des « gros mots » nous étaient étrangères avant notre travail sur le roman de Benedek Totth, Holtverseny (2016), parus en français sous le titre Comme des rats morts (2018), roman bouleversant sur la perte de repères d'une certaine jeunesse dont l'action se déroule en Hongrie, certes, mais qui a une portée générale. Toutefois, notre pratique de la traduction (pratique de type artisanal) s'appuie sur un principe général, qu'on peut qualifier de théorique, formulé dès le XVIII e siècle par un Britannique, Alexander F. Tytler (1791), qui pose que la traduction doit être fidèle au contenu et au style et avoir l'aisance d'une oeuvre originale. Ni plus, ni moins. Nous nous démarquons ainsi des principes exposés par Antoine Berman dans L'Auberge lointaine (1999) ou Henri Meschonnic dans Poétique du traduire (1999), qui considèrent que le texte traduit doit garder des « traces » de l'original, au risque du calque ou de la traduction littérale, ainsi que de la pratique « cibliste » pouvant aller jusqu'à « naturaliser » le texte-l'exemple le plus abouti de ce type de traduction est sans conteste la première version française de la Fabrique d'absolu de Karel Čapek, qui transpose l'action de Prague à Paris 1 ! Notre but théorique ultime et ô combien ambitieux, mais pas nécessairement atteint dans la pratique, est de reproduire l'effet cognitif et émotionnel que le texte original a exercé sur le lecteur. Concrètement, dans le cas du premier roman de Benedek Totth , il s'agissait de faire ressentir le vide et/ou la détresse qui se cachent sous une langue argotique et très vulgaire, bref, d'être fidèle au En français plus strandard et bienséant, on aurait : Greg se retourne et demande où diable où on est, alors que nous roulons à toute vitesse sur le nouveau périphérique, mais tous se taisent, bien sûr, parce qu'ils n'en ont pas la moindre idée, me dis-je, ou bien ils ne veulent pas dire une bêtise, pour ne pas l'embrouiller et risquer ainsi de se perdre pour de bon. Je ne reconnais pas non plus les environs, de toute façon on n'y voit rien à cause du mauvais temps, mais j'aimerais bien savoir où on est, sinon on ne sera jamais rentrés à la maison, ma parole.