L’Animalité de l’être (original) (raw)
L’« animalité de l’être » est un titre qui doit s’entendre en deux sens différents, et qui tiennent à ce qui est, à mon avis, la position ambiguë du motif de la « vie » dans la pensée de Heidegger. D’un côté – ceci est bien connu –, la « vie » doit être exclue de l’ontologie : être n’est pas vivre, et l’essence de l’homme ne doit plus être pensée à partir de celle du vivant (comme « animalité raisonnable », par exemple). D’un autre côté, cependant – et pour cette même raison –, l’animalité peut devenir presque un horizon ou une tâche pour la pensée : dans la Lettre sur l’humanisme, Heidegger déclare que l’être vivant est la chose la plus difficile à penser. « De tout étant qui est, l’être vivant est probablement pour nous le plus difficile à penser, car s’il est, d’une certaine manière, notre plus proche parent, il est en même temps séparé par un abîme de notre essence ek-sistante » 1. Sous le titre de « animalité de l’être », il faut donc entendre à la fois ce que Heidegger s’acharne à combattre – comme on verra, une sorte de contamination de l’être par la vie – et ce qui, de l’être lui-même, donne encore à penser, au-delà ou en excès de l’être même ou de notre « essence ek-sistante ». Je développerai ce sujet en trois parties. Il faut tout d’abord s’entendre sur le concept d’« animalité ». Je vais proposer de le faire à partir du De Anima d’Aristote – la pertinence de ce choix, je l’espère, s’avérera opportunément. Selon le De Anima, ce qui définit la vie animale proprement dite (à la différence de la vie végétale) est la « vie sensitive » (hJaijsqhtikh;yuchv). Ensuite, j’aborderai l’« animalité de l’être » au sens négatif de l’expression, comme ce qu’il s’agit pour l’ontologie de dépasser. Je vais pourtant montrer que Heidegger ne réussit pas à dégager l’« être » du paradigme aristotélicien de la « vie sensitive ». Finalement, j’aborderai l’« animalité de l’être » au sens positif de l’expression, comme une sorte d’excès de l’être par rapport à soi et, plus exactement, par rapport au paradigme aristotélicien de la « vie sensitive ».