About Jean-Philippe Toussaint (original) (raw)

Jean-Philippe Toussaint et l'Italie

mediAzioni, 2024

L'Italie est omniprésente dans l'œuvre de Jean-Philippe Toussaint et presque tous ses livres ont été traduits en italien, voire retraduits. Parmi les auteurs francophones contemporains, Toussaint est sans doute celui qui a le plus exploré la péninsule italienne : sa familiarité avec les paysages, la culture et même la langue du pays est évidente dans tous les aspects de son œuvre multimodale (récits, films, photographies, installations artistiques, performances). Ce numéro spécial représente une étape qui conduira peut-être l'auteur à explorer l'Italie d'une manière différente, en la réinventant constamment et en lui ajoutant de nouvelles facettes. Italy is ubiquitous in Jean-Philippe Toussaint's work, since almost all his books have been translated, and some have even been retranslated. Among contemporary French-speaking authors, Toussaint is undoubtedly the one who has explored the Italian peninsula most extensively: his familiarity with the country's landscapes, culture, and even language is evident in every aspect of his multi-modal work (narratives, films, photography, art installations, performances). This special issue represents a step that will perhaps lead our author to explore Italy in a different way, constantly reinventing it and adding new facets to it.

Jean-Philippe Toussaint et l’ouverture de l’espace

Dès son début littéraire avec La Salle de bain il y a 20 ans, le romancier belge, Jean-Philippe Toussaint, écrit des romans qui se situent distinctement et explicitement à l'intérieur de la tradition du roman français moderniste. Gustave Flaubert, Marcel Proust, Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon sont pour lui des modèles incontournables. Dans La Télévision, roman publié en 1997, Toussaint introduit tout en souriant un gueuleoir, une haie d'aubépines et s'inscrit ostensiblement à la prestigieuse école du regard. 1 On trouve dans les romans de Jean-Philippe Toussaint une exploration surprenante et presque inlassable de l'espace. Et dans La Télévision, cette exploration passe par un grand nombre de scènes où des peintures se trouvent au centre de l'intérêt et servent à créer ce que j'ai nommé dans mon titre une ouverture de l'espace. L'examen spatial nous est avant tout communiqué par des descriptions où réalités physiques, traditions littéraires, questions métaphysiques et théories esthétiques se croisent et se font voir. Ainsi, Toussaint arrive à créer un espace littéraire fait de paysages présents et passés, réels et fictifs, construit de tableaux et de textes dont l'effet est celle d'une grande plasticité. C'est une technique romanesque faite pour accueillir mouvement et profondeur, adaptée entre autres à la description d'un été passé à Berlin au début des années 1990. Il y a quelques scènes clé dans La Télévision permettant d'étudier la représentation de l'espace de plus près. Au début du roman, le narrateur prend la décision de ne plus regarder la télé. Il éteint son téléviseur et la lumière dans son appartement, va vers la fenêtre et regarde l'immeuble en face : La perception décrite est dominée par le regard, le moment est longuement préparé et la description est construite à partir de l'opposition fondamentale entre lumière et obscurité. La nuit est sombre, et dans un premier temps, les toits des bâtiments seulement se font à peine deviner. Mais de l'édifice émane une lumière, une 1 Jean-Philippe Toussaint, La Télévision, Paris, les éditions de Minuit, 1997. Pour la scène du gueuleoir voir p. 101-102, pour les aubépines, lisez p. 119-120. En ce qui concerne l'héritage du nouveau roman, étudiez par exemple p. 121. Je voudrais remercier Andreas Krogvold pour les bons conseils qu'il a donnés lors de la préparation de cet article, et surtout pour ces remarques souriantes à propos des aubépines.

L’homme indifférent de Jean-Philippe Toussaint

Liberte, 1990

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Jean-Philippe Toussaint : la forme et la mélancolie

@nalyses. Revue des littératures franco-canadiennes et québécoise, 1969

Selon la doctrine idéaliste, les verbes vivre et rêver sont rigoureusement synonymes; de milliers d'apparences je passerai à une seule ; d'un rêve très complexe à un rêve très simple. D'autres rêveront que je suis fou et moi je rêverai au Zahir. Lorsque tous les hommes ici-bas penseront jour et nuit au Zahir, qui sera un songe et qui sera une réalité, la terre ou le Zahir ? » (Borges, p. 144)

"Pensivement" : le suspens mélancolique de Jean-Philippe Toussaint

Quand j'ai parcouru l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint, il m'a rapidement semblé que roman après roman, l'écrivain s'attachait à proposer des récits mentaux ou pour reprendre l'expression d'Olivier Bessard-Banquy des « livre[s] en pensée ». Mais cet espace mental que l'histoire de la littérature n'a cessé d'explorer, de rendre visible, voire de complexifier dans ses flux de conscience, de raffiner à force de tropismes, il m'a paru singulièrement opaque dans l'oeuvre de Toussaint. Prostration silencieuse, distraction permanente, échappée dilatoire : à qui voudrait explorer les labyrinthes mentaux de cette oeuvre romanesque, l'auteur obstinément, régulièrement, maniaquement, oppose une stratégie de l'obstacle et de l'opacité.

« Dire je sans le penser » : qui es-tu, Monsieur Jean-Philippe Toussaint ?

Lire, voir, penser l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint (Jean-Michel Devésa, ed.), 2020

Écrivain d’un je qui joue sans cesse avec le lecteur, Jean-Philippe Toussaint devient, au fil de ses œuvres, un personnage de son propre univers. Croisant les ressources technologiques avec les techniques littéraires les plus habiles, l’écrivain belge crée un kaléidoscope de postures qui affirment la réalité d’une présence auctoriale tout en dévoilant une figure évanescente, une image impossible. En résulte une relation poreuse entre réalité et fiction qui se nourrit de la culture intermédiale de l’auteur et interroge de manière singulière et inédite la relation que nouent aujourd’hui le virtuel et l’actuel. Tout concourt à faire œuvre chez l’auteur de La Télévision – textes, films, paratexte, interventions publiques, etc. – jusqu’à donner à contempler toute la complexité de ce qu’est le « moi » dans notre monde contemporain. À travers l’étude de son rapport à l’image, de son inscription dans le temps et de son rapport à l’autre, nous entendons délivrer le portrait le plus ressemblant possible du personnage-écrivain qu’est Jean-Philippe Toussaint.

Autoportrait de l'écrivain en éternel décalé. Jean-Philippe Toussaint au prisme de Jeff Koons

Textyles, 2018

En août 2010, Jean-Philippe Toussaint publie dans le magazine allemand Monopol un bref texte qui met en scène sa rencontre avec Jeff Koons pendant les 24 Heures du Mans. Quelques jours plus tard, Michel Houellebecq publie La Carte et le territoire, qui s'ouvre sur la description d'un tableau fictif représentant Damien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l'art. Cette réappropriation soudaine du plasticien américain par la littérature de langue française est sans doute emblématique d'un phénomène qui touche à la façon dont l'évolution des arts plastiques pousse la littérature, art du verbe de plus en plus perdu dans une société de l'image et de l'immédiateté, à se réinventer. Né dans un giron journalistique et multimédia pleinement assumé, « Le Mans » est emblématique de la production toussanctienne dans la mesure où il propose un support mutable, sans cadre générique fixe, qui lui permet d'être aussi bien le récit préfaciel d'un vaste Autoportrait (à l'étranger) qu'une anecdote, surgie telle une luciole qui brille aux yeux du lecteur, permettant de combler un trou dans la chronologie des grands championnats internationaux de football des quinze premières années du XXIe siècle.

Un petit air du Japon : mondial et local chez Jean-Philippe Toussaint

1980. Du cosmopolitisme à la mondialisation Que s'est t il donc passé à partir de 1980 pour que ce terme chronologique ait été posé à notre réflexion ? La décennie qui suivit at -elle correspondu à un changement sensible dans la façon dont le cosmopolitisme du début du siècle était vécu ? De fait, les idées de nationalisme et d'internationalisme qui encadraient le débat sur le cosmopolitisme depuis la fin du xix e siècle furent confrontées à de rapides évolutions historiques qui vont infirmer leur capacité opératoire. Pour le montrer, nous avons pris l'exemple du romancier Jean Philippe Toussaint, dont l'oeuvre commence au début des années 1980, et tenté de montrer comment sa production la plus récente enregistre ces évolutions : d'une part, un processus de mondialisation principalement économique, mais dont les effets sociaux produisent une montée d'inquiétude, et, d'autre part, l'abandon des références essentielles de la modernité, des idées de progrès et de révolution qui, depuis un siècle, animaient une très grande partie du débat intellectuel. Deux évolutions simultanées et à maints égards corrélées : la chute du rideau de fer, en 1989, annonce l'effondrement prochain de l'empire soviétique et la fin de la politique des blocs en même temps qu'elle consacre, sur le plan idéologique, l'échec historique de l'utopie révolutionnaire. Un échec qui est immédiatement suivi de la réactivation des idées antimodernes, longtemps refoulées par le dynamisme des avant gardes politiques et culturelles. S'ouvre une époque de désengagement du politique et de repli hédoniste sur le bien-être individuel et la vie affective. L'idéologie libérale prend le dessus sur tous les fronts, imposant parfois des accommodements inattendus : dans les années 1990, la Chine, sous l'influence de Deng Xiaoping, s'ouvre au commerce international et invente une curieuse synthèse entre une gestion communiste de l'État, centralisée et autoritaire, et une économie tournée de plus en plus vers la libre entreprise et les investissements étrangers. Je ne m'attarderai pas davantage sur la toile de fond de ce que j'entends par « mondialisation » ; elle est pour moi un processus en cours qui concerne l'économie au premier chef, mais affecte aussi l'équilibre des échanges culturels, le poids relatif des langues, et, à travers elles, la diversité des expressions littéraires. O

Le potentiel de la marge: Fonctions du terrain vague chez Jean-Philippe Toussaint

The French Review, 2024

Parmi les nombreuses formes d'espaces qu'on trouve chez Jean-Philippe Toussaint, les terrains vagues occupent une place singulière dans la mesure où l'écriture valorise ces sites à priori sans intérêt. Isolées et abandonnées, ces zones qui ne participent pas à l'économie de la ville se présentent comme des contre-espaces qui constituent une image "négative" de la cité. Fasciné par la nature transitoire de ces espaces, Toussaint en exploite les significations, en insistant sur leur fonctionnement comme miroir narratif, critique de l'expansion urbaine, palimpseste socio-historique et memento mori. Among the many types of space in Jean-Philippe Toussaint's work, vacant lots occupy a unique position insofar as the writing valorizes these seemingly uninteresting sites. Isolated and abandoned, these areas that do not participate in the economy of the city appear as counter-spaces that constitute a "negative" image of the city. Fascinated by the transitory nature of these spaces, Toussaint exploits their meanings, emphasizing their role as a narrative mirror, critique of urban expansion, sociohistorical palimpsest, and memento mori.