Jürg Zünd : voir/faire voir l’espace (original) (raw)

2024, Evolution psychiatrique/˜L'œEvolution psychiatrique

En prolongeant l'analyse d'un cas recensé par Ludwig Binswanger, le cas Jürg Zünd, à l'aide d'une grille philosophique inspirée de la phénoménologie, on s'efforce de montrer que le patient -c'est ce qui donne sens à son trouble -tente d'afficher la pertinence (échec de la raison) autant que les limites (la raison reste opérative) d'une doctrine qui lui a été rendue familière par son psychiatre : l'analyse existentielle, notamment sa représentation de l'espace et du langage. Il s'agit ainsi d'illustrer les dangers que fait peser un dialogue trop insistant entre patient et soignant lorsque ce patient est associé au diagnostic et à la thérapie. Il s'agit enfin de mieux marquer l'écart subsistant entre le champ pratique et le champ expérientiel. La malade a renoncé à la rationalité de son agir mais il continue de souscrire à celle de son expérience, seul moyen de « preuve » qui lui reste. Prolonger l'analyse du psychiatre en établissant une correspondance entre les symptômes de la maladie d'une part, et les validations/réfutations de cette même analyse. Le principal danger de l'analyse ici menée est une hyper-rationalisation du trouble mental, Mais si, dans le trouble mental, ne subsiste aucun élément de raison, aucune psychiatrie ne peut non plus voir le jour. Il est cependant clair que le simple échec de la raison ne peut suffire à relativiser l'exploitation scientifique du trouble mental. On ne peut donc que suivre l'auteur dans ses références fréquentes, parfois implicites, aux textes fondamentaux de la phénoménologie. On pourrait dire que notre analyse revêt un caractère expérimental. Une analyse approfondie du cas montre qu'il existe en effet un lien entre le système d'attitude et de comportement du patient et une volonté de tester la pertinence de l'analyse phénoménologique appliquée par le soignant au malade. Dans la troisième Critique, dite de la Faculté de Juger, Kant s'efforce de restituer à une raison invalidée dans son usage pur une voie, un champ d'expression sensible qui, enjambant entendement et langage, permette à cette raison de se « dire ». Mais cette conduite est à son tour frappée d'impuissance, du fait de sa structure antinomique. Seul le corps, laissé pour compte de l'analyse kantienne, permet à la raison de trouver son équilibre car il est déjà en lui-même pénétré, corseté, pétri de raison. Mais aussi, par là-même, broyé par cette raison, une raison qui, en accablant le seul moyen d'expression qui lui reste, surinvestit ce corps et se rend de nouveau inaudible. Il faudra donc rendre le corps à lui-même, le libérer de l'emprise de la raison, le réifier et laisser, du même coup, reparaître ce qui, peut-être, reste en l'homme de raison : la folie, raison faible habitant un corps affaibli. Contredire la raison, c'est la dire à claire-voie, dans l'expérience de sa perte quasi-définitive, jamais tout à fait définitive pourtant, suspendue qu'elle est à son propre souvenir. D'objet d'une clinique, la folie en devient ainsi le critère. Elle instaure son propre régime de preuve, une preuve qui, bien sûr, ne peut être administrée par le moyen d'un langage désormais disqualifié. La folie a son mot à dire dans l'échec de la raison, un échec déjà contrarié par l'examen invalidant auquel l'a soumise la doctrine critique d'inspiration kantienne, laquelle s'efforce de « raisonner » une raison qui outrepasse ses droits.