'Européaniser’ le local par-delà la frontière ? Projets patrimoniaux et de développement entre Grèce et République de Macédoine (original) (raw)

C. Chavarochette M. Demanget et O. Givre (Eds.), Faire frontière(s). Raisons politiques et usages symboliques, 2015

Abstract

Les mutations que connaissent les pays des Balkans depuis deux décennies se traduisent par une conception révisée et « européanisée » de la frontière : d’une ligne de démarcation et d’antagonisme entre adversaires politiques et culturels, celle-ci tend à devenir un espace « épais », voire un territoire commun propice à construire de nouveaux voisinages. La coopération transfrontalière y est ainsi un mode d’action fort valorisé par l’Union européenne, en particulier autour des thématiques récurrentes de la « pacification », du « développement » ou encore de la « transition » politique et économique de régions habituellement considérées comme traversées de multiples antagonismes. Les pays des Balkans présentant des situations contrastées vis-à-vis de « l’intégration européenne », ces formes de coopération sont pensées comme des leviers du « bon voisinage » et d’implémentation de « bonnes pratiques » favorisant à terme l’adhésion. Fort mis en évidence, les patrimoines culturels et naturels y jouent un rôle axiologique de reconnaissance d’héritages communs par-delà les constructions statonationales. Ces patrimoines sont ainsi appréhendés comme des cadres propices à une transformation plus globale des pays concernés et de la région : ainsi des multiples dispositifs concernant le « dialogue entre les cultures » ou la mise en place de « corridors culturels » qui prennent la forme d’itinéraires transnationaux. Ce transfert d’un « modèle » de développement, bien que mitigé dans ses résultats concrets, met en évidence les multiples mobilisations des cadres européens de coopération pour relire le « local » au-delà des antagonismes nationaux. Cela passe autant par l’entremise d’acteurs officiels que de réseaux communautaires, ou par l’implication de figures économiquement et politiquement puissantes, « prescripteurs » de la mise en ressource patrimoniale au fil de programmes nationaux ou européens. Dans un contexte de relations tendues entre les deux Etats (la Grèce refusant toujours de reconnaître l’existence d’une République de Macédoine), ces projets patrimoniaux transfrontaliers se présentent aussi comme des exemples d’une « diplomatie patrimoniale » pluriscalaire et révisable en fonction des opportunités. Il s’agira de voir en quoi la capacité normative de la notion contemporaine de patrimoine fait fonds sur des « valeurs » qui, pour être reconnues localement, s’avèrent surtout fabriquées et entretenues par ces multiples protagonistes. Nous pourrons aussi nous demander si la frontière, devenue argument de coopération et prétexte à l’action, ne constitue pas au final elle-même une « valeur » et une ressource partagées.

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