La part du féminin et du masculin dans l’infanticide : des realia aux représentations tragiques (Athènes, époque classique), dans S. Dubel et A. Montandon, Mythes sacrificiels et ragoûts d'enfants, PUBP, 2012, p. 315-327 (original) (raw)

"Résumé – Dans une cité grecque, l’exposition de l’enfant est une manifestation civique et politique de la non-reconnaissance d’un jeune futur citoyen, ce qui relève du pouvoir masculin et paternel d’intégrer ou non un nouveau-né à l’oikos mais aussi à la cité. Malgré le rôle nouveau de la mère dans la cité athénienne à partir de 451 a.v. J.-C., cette dernière reste étrangère au processus de reconnaissance. Il existe cependant des exemples d’abandon d’enfant par une femme (Creüse). Les raisons amenant à l’exposition des enfants, le plus souvent de petites filles, sont multiples. Le résultat des études démographiques divergent des cas mythologiques, les enfants abandonnés et héroïques étant plutôt des garçons. Lorsqu’on s’interroge sur les figures infanticides, de meurtres à proprement parler, là encore la question des genres apparaît. Là où les femmes cuisinent, les hommes mastiquent, à de très rares exceptions près. Se pose alors la question de la motivation d’un tel acte, la mise au chaudron de l’enfant et/ou sa mise en bouche. Il apparaît que les cas d’Atrée, de Cronos et du tyran décrit par Platon montrent que la consommation de chairs infantiles est liée au pouvoir, à sa conservation (Cronos), à son accession (Atrée) et au type même du pouvoir. Les motivations féminines sont autres: les femmes grecques n’ont pas le pouvoir, mais elles ont le pouvoir d’atteindre leur mari par la mise à mort de leur progéniture commune. Médée la Barbare, Procné, Philomèle, utilisent l’arme de l’homme, l’épée, pour faire couler le sang de leurs fils et meurtrir leur époux, privé alors de descendance civique. Somme toute, l’infanticide en tant que meurtre violent d’un enfant (et non l’exposition du nouveau-né, acte masculin et civique) est dans l’imaginaire grec un crime féminin. Nombreux sont les exemples qui montrent la propension grecque à séparer les genres dans l’acte affreux du meurtre de l’enfant. Mots-clés – citoyenneté, études de genre, exposition, polis, pouvoir, tecnophagie, tragédie. Abstract – Exposure of children has political and civic consequences. In a Greek city, it belongs to the male power to refuse to a baby boy the integration into the oikos and the city. Athenian mothers had no role in the legal recognition of their children. Nonetheless,some tragic examples show the role of women (Creuse). It exists many reasons to explain the frequency of exposure in antic Athens. If the demographic studies show that baby girls were more often abandoned than baby boys, several myths are based on the exposure of male heroes (Oedipus, Ion). If we look precisely at the infanticide murder, men and women do not have the same role. When women are cooking, men are eating. Cannibalistic women are very rare in the mythology. But there are many cannibalistic men: Tereus, Kronos, Thyesthes... The fact of eating one’s child is often tied with power issues and fathers are often not aware of their acts. Women decide to kill their children for other reasons : infanticide is a way to hurt their husbands who had rejected or dishonoured them (Procne, Medea).The violent and deliberate murder of a child is a female act. Even Heracles, who kills his children, is compared to female monsters and to female murderers by the tragic chorus. Stavroula Kefallonitis Le tyran et les enfants de la cité (p. 329-343) Résumé – Le paradigme du pouvoir politique brutalisant les enfants de la cité trouve depuis l’Antiquité à s’incarner dans des personnages de tyrans. Deux exemples fameux, Périandre de Corinthe et Aristodème de Cumes, convoquent un corpus de récits qui traduisent la même tension politique que les mythes fondateurs d’Ouranos et de Cronos, à savoir l’espoir insensé de conserver le pouvoir à jamais et d’effacer toute perspective diachronique successorale. Dans un univers d’excès et de pulsions (Platon, République, IX), le tyran s’impose comme une figure à la fois réelle et fantasmatique aux confins du mythe et de l’histoire. La métaphore du pouvoir politique infanticide ressurgit au cours des siècles, une fois que les règnes ont basculé dans l’impopularité, révélant que le mythe peut rejoindre l’histoire a posteriori. Elle remet en question l’idée traditionnelle d’une chronologie narrative fermée où le mythe laisse place à l’histoire. Il devient possible de considérer que les récits relatifs aux tyrans évoluent entre un axe historique horizontal et un axe mythologique vertical qui se projette sur le premier. Keywords – child-exposure, citizenship, Gender history, polis, power issues, tecnophagy, tragedy."