Autofiction et poétique (dans "Le Propre de l’écriture de soi", dir. Françoise Simonet-Tenant, Paris, Téraèdre, 2007, p. 25-30) (original) (raw)

Jean Cocteau rapporte, dans un très beau récit autobiographique intitulé Portraits-souvenir, une anecdote qui me servira de fil conducteur au cours de cette communication : « Un jour que je lisais à Picasso une lettre d'insultes, il me dit : "C'est une lettre anonyme", et comme je lui montrais qu'elle était signée, il ajouta : "Peu importe. La lettre anonyme est un genre". » 26 La réponse de Picasso paraîtra certainement décevante, car trop proche de la simple tautologie -un genre est un genre. Reste que, même si l'anonymat est une règle constituante du genre « lettre anonyme », il ne suffit pas qu'une lettre d'insultes soit signée pour que la valeur régulatrice de cette catégorie générique soit invalidée. Cocteau désigne la lettre en fonction de son contenu thématique ; Picasso, quant à lui, la subsume à une classe de textes répertoriée, qui en fournit une définition et en explicite le sens. Le terme « lettre anonyme » ne correspond à rien de matériel ; il appartient simplement au répertoire des cadres disponibles pour tout acte de communication, quotidien ou artistique, et même si l'un des critères qui lui sont associés fait défaut, il n'en subsiste pas moins en tant que genre à part entière. À vrai dire, les positions de Picasso et de Cocteau ne sont pas loin de refléter deux pétitions de principe, ou deux attitudes, dont on trouverait peut-être les origines lointaines en remontant à l'opposition entre l'idéalisme platonicien et le réalisme aristotélicien. Mais je n'ai mentionné cette anecdote que parce qu'elle permet de trancher, arbitrairement il est vrai, toute une série de réflexions menées autour des textes à la première personne : les genres existent en dépit des innombrables infractions dont il peuvent faire l'objet. C'est bien ce que laisse entendre Marion Steiner, dans Le Dernier Métro de François Truffaut, lorsqu'elle déclare à son mari Lucas Steiner, après avoir lu la critique assassine que Daxiat 26 J. Cocteau, Portraits-souvenir, dans Romans, poésies, poésie critique, théâtre, cinéma, présentation et notes de Bernard