Nietzsche et l'Etat - 1ère partie (original) (raw)

Au détour de quelque coin de l'univers inondé des feux d'innombrables systèmes solaires, il y eut un jour une planète sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l' "histoire universelle", mais ce ne fut cependant qu'une minute. » 2 Dans Vérité et mensonge au sens extra-moral, texte concis mais dont la thèse essentielle se trouve tout au long de son oeuvre, Nietzsche rompt d'emblée avec la philosophie de la connaissance pour affirmer le caractère nuisible de la recherche du vrai : « Qu'est-ce donc que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphismes, bref une somme de relations humaines qui ont été rehaussées, transposées, et ornées par la poésie et par la rhétorique, et qui après un long usage paraissent établies, canoniques et contraignantes aux yeux du peuple : les vérités sont des illusions dont on oublie qu'elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie et qu'on ne considère plus désormais comme telles, mais seulement comme un métal. » 3 Ainsi, la quête de la vérité conduit au mensonge et à l'illusion. L'être rationnel est « prisonnier d'une conscience fière et trompeuse » 4 qui l'aveugle et dissimule la nature de l'homme en tant qu'être intuitif animé par ses sens et débarrassé du fardeau du logos pour s'adonner à l'art, i. e. le muthos de la tragédie. La charpente conceptuelle tracée par le langage n'est qu'un produit de l'intellect humain, une croyance fondée sur la logique paraissant universelle, infaillible, éternelle. Le concept prétend ainsi définir la chose en elle-même alors qu'il n'en est que l'appropriation humaine fondée par le langage : « […] le grand édifice des concepts présente la stricte régularité d'un columbarium romain, et de cet édifice émanent dans la logique cette rigueur et 2 Vérité et mensonge au sens extra-moral, dans les OEuvres philosophiques complètes, trad. Michel Haar et Marc B. de Launay, Paris, Gallimard, t.