Sommes-nous tous des spécialistes des gens ? Intersubjectivité, théorie de l'esprit et schizophrénie (original) (raw)

De « l’expérience métaphysique d’autrui » à « l’intersubjectivité en première personne »

Revue internationale Michel Henry, 2018

Cet article, introductif à la publication de textes inédits de Michel Henry sur l’expérience d’autrui, souhaite présenter le « modèle » d’intersubjectivité proposé par ce dernier. L’objectif est d’en indiquer les grandes lignes, non seulement pour montrer que la philosophie henryenne du christianisme répond à certaines difficultés encore prégnantes dans ses écrits de jeunesse, mais aussi et surtout pour souligner combien, à cinquante années de distance, elle résonne avec eux, tant dans la manière dont s’y trouvait posé le problème d’autrui que dans les solutions qui y étaient déjà préesquissées. Aussi leur publication permet-elle d’attester au moins une chose : la continuité, la profonde unité de l’œuvre de Michel Henry.

Aux origines de l'anthropomorphisme: Intersubjectivité et théorie de l'esprit

Gradhiva, 15, 2012

Dès la première enfance, les humains attribuent des traits de comportement anthropomorphe, tels des intentions, des perceptions et même des sentiments, aux artefacts. Pourquoi cette attitude est-elle si répandue ? Dans le champ de la psychologie, on a longtemps attribué ces comportements à l'exercice d'une forme primitive de la pensée, et notamment à l'incapacité prêtée aux jeunes enfants de distinguer entre le niveau physique et le niveau mental de la réalité. On admettait aussi que cette incapacité, propre aux enfants, pouvait, dans des situations affectivement chargées ou difficiles, affecter le comportement des adultes. Des recherches récentes ont montré, toutefois, que les très jeunes enfants sont parfaitement en mesure de distinguer entre ce qui relève du physique et ce qui relève du mental. Nous proposons donc dans cet article l'hypothèse qu'à l'origine de l'anthropomorphisme l'on ne trouve pas une modalité spécifique de la pensée, mais plutôt des modalités d'interaction précocement apprises. Plusieurs études consacrées au développement social de l'enfant montrent en effet que ce qu'on appelle « anthropomorphisme » est une extension aux non-humains de modalités interactionnelles propres au dialogue entre humains. Mots-clés anthropomorphisme, développement, interaction 2 Abstract. The origins of anthropomorphism: intersubjectivity and theory of mind Since a very young age humans attribute anthropomorphic features like intentions, perceptions and even feelings to artifacts. Why is this behavior so common? In the past developmental psychologists have considered this attitude as a primitive form of thinking. They maintained that young children where unable to distinguish between physical and mental events. Adults would adopt a similar attitude only when facing affectively charged or difficult situations. However, recent research has shown that also young children make distinctions between the "physical" and the "mental". In this article I argue that anthropomorphism is not a primitive form of thinking but has its origins in interaction modalities acquired during infancy. A number of studies devoted to social development show that what we call "anthropomorphism" is an extension to non-humans of forms of interactions typical of human dialogue.

Subjectivité et « cerveau social

Commençons par une métaphore, qui nous fera prendre de la hauteur.... Imaginez que vous êtes à la montagne, il neige. Devant vous, un gros rocher. Il neige sur ce gros rocher. Du revers de votre moufle, vous balayez la fine couche de neige qui commence à s'accumuler. Ces petits flocons légers vous semblent si inconsistants, si aléatoires, qu'en face d'eux le rocher de dur granit s'impose comme la solidité même, immuable. Autour de vous, vous observez que le rocher n'est pas isolé, il y en a des centaines qui barrent la vallée. Vous êtes sur une moraine, l'endroit où un ancien glacier a fondu et déposé tout ce qu'il avait charrié en son sein. Alors vous réalisez que la fine et fragile pellicule de neige que vous venez d'écarter n'aura aucune influence sur le destin du rocher dans le temps où vous observerez sa chute et peutêtre même dans le temps de toute votre vie : immédiatement et localement, le flocon ne peut que buter sur la dureté du rocher. Mais vous savez qu'à une autre échelle, d'espace et de temps, l'amoncellement des flocons de neige devenant un jour ou l'autre glace puis eau de ruissellement, aura eu la puissance de découper puis de déplacer la roche, et même de sculpter le paysage de la montagne. Vous vous souvenez en effet avoir marché sur un glacier : vous avez observé la lente transformation de la neige en névé, puis du névé en glace. Imperceptiblement le rapport s'inversait : la neige qui épousait le relief du rocher se transformait en une structure rigide capable de rayer, raboter, lisser, modeler la paroi rocheuse le long de son trajet. Là où le glacier s'est retiré, vous avez pu lire des lignes, des traits, parfois même comme des lettres gravées, témoins de ce bord de frottement entre la glace et le rocher. À voir se former de profondes crevasses, vous avez deviné que sous le glacier la roche à cet endroit-là faisait obstacle, ou cassure. À voir certaines variations de couleurs ou d'épaisseur de la glace, vous avez également reconnu comme des traces d'événements plus anciens : un enneigement particulièrement abondant, un orage violent, l'effondrement d'une paroi. Le mélange entre glace et débris de roche sous vos pieds devenait si intime que vous n'en perceviez pas bien les bords. Et puis vous avez suivi en imagination le trajet lent, imperceptible, mais inexorable de la glace vers son point de fonte. Que suggère notre métaphore ? Le lecteur, pour qu'on puisse parler d'une métaphore réussie, doit en avoir eu l'intuition : la relation entre vie psychique et fonctionnement neurobiologique cérébral est comparable à la relation entre la neige et le rocher. Quoi de plus voltigeant, léger, aléatoire, que les mots dont nous sommes entourés depuis la naissance et même avant ? Quoi de plus fugitif que les pensées qui nous traversent l'esprit ? De toute cette parlotte il ne reste souvent rien de marquant : rien en tout cas qui soit susceptible de déterminer localement une modification mesurable de la poussée développementale, aussi solide et rigide dans sa programmation génétique que l'érection de la montagne. «Words, words, words» disait Hamlet. Cependant, nous savons que l'immersion dans le bain de langage, qui est le propre du petit de l'homme, va aboutir au cours des toutes premières années de sa vie, à la construction d'une structure psychique venant à recouvrir les fondements organiques innés de la vie mentale, eux-mêmes encore en train de terminer la maturation cérébrale. Certes, le roc biologique va influencer profondément le cours d'une vie, son vieillissement inexorable, et même sa fin programmée. Mais ce que nous pouvons observer de nous-mêmes et de nos partenaires humains, c'est cette surface plus souple, marquée par les effets du langage, la trace de l'histoire ancienne ou récente, et par l'influence, le plus souvent indémontrable localement, mais tout à fait certaine globalement, de l'atmosphère calme ou tempétueuse au sein de laquelle une vie psychique s'est cristallisée. Mais, au fait, pourquoi commencer un article concernant les autismes par une métaphore ? Le lecteur particulièrement attentif aura déjà noté que la métaphore, l'action de transporter ailleurs, ailleurs que dans le sens habituel des mots employés, pour que les mots fassent image et que cette liaison crée un sens nouveau, est précisément une forme de pensée que les personnes autistes ont du mal à utiliser. Nous verrons que l'action de transporter ailleurs pour articuler les images et les mots prendra, dans notre propos, un double sens, à la fois concret et abstrait, neuronal et structural. pourrait s'agir d'aires auditives ou tactiles. En « b »: la zone du sillon temporal supérieur, En « c » : la zone du lobule pariétal inférieur, En « d » : la zone préfrontale au pied de l'aire frontale ascendante, En « e » : l'aire motrice primaire elle-même comme effecteur du mouvement.

Classifier sans stigmatiser : le cas de la schizophrénie

L'information psychiatrique, 2011

Article disponible en ligne à l'adresse Article disponible en ligne à l'adresse https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2011-3-page-191.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s'abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Relation à autrui, empathie, intersubjectivité

La relation à autrui, quand elle prend la forme de la relation thérapeutique, implique de devoir en saisir quelques rouages essentiels. Tels sont les enjeux soutenus dans cet article qui tente de cerner deux concepts majeurs que sont l'empathie et l'intersubjectivité.

Hyper-réflexivité et perspective en première personne : un apport décisif de la psychopathologie phénoménologique contemporaine à la compréhension de la schizophrénie

L'évolution psychiatrique, 2018

Objectives: This paper aims to summarize the hypothesis, which originates in the field of phenomenological psychopathology, of schizophrenic hyperreflexivity, and to discuss the methodological context enabling these highly subjective manifestations to emerge. Starting from the seminal hypothesis developed by contemporary psychopathology, that the schizophrenic patients appear to experience a consciousness that finds itself being forced to question phenomena which should be intuitively self-evident, the idea of this present paper is to complete the usual interpretation of schizophrenia as deficit by the hypothesis of an excess functioning of consciousness. Methods: First-person perspective is a qualitative approach completing third-person interpretation, traditional in the field of psychiatry – which consists in the attribution, from an external position, of clinical signs noted independently of the perception expressed by the patient. This first-person perspective focuses on the subjective experience expressed by the individual. To understand schizophrenia according to this perspective, the words of several schizophrenic patients have been collected as part of a clinical device. We used the EASE scale (Examination of Anomalous Self-Experience) with this aim in mind. This scale offers a phenomenologically oriented semi-structured exploration of a set of difficulties revealing anomalies of subjective experience, considered as troubles of self-awareness. EASE has been developed on the basis of self-descriptions by patients suffering from schizophrenic spectrum troubles. This tool allows the co-construction of a language between patient and clinician, focused on the patient’s particular experience and the unique phenomena he endures. Results: Besides the hyperreflexivity phenomena, the qualitative analysis of collected descriptions highlight two important features of schizophrenic being-in-the-world. First a problem of common sense, which addresses the issue of intersubjectivity and the opportunity, for schizophrenic patients, to share a social world. Then the existence of an intercorporeality trouble, since the schizophrenic hyperreflexivity experiences are accompanied by a loss of “common body”, body being the scene where intersubjectivity is performed. Employing EASE, and the ensuing first-person perspective, is relevant in a psychotherapeutic approach; on one hand in the process of acknowledgement of the disease (which has to be made by the patient as well as by the clinician), on the other hand in the communication with families of schizophrenic patients. Conclusions: The phenomenological interpretation offered by the application of a first-person perspective in the understanding of schizophrenic patients experience, as well as the interest showed in the hyperreflexivity phenomenon, suggest an outlook of schizophrenia which isn’t reduced to a deficit interpretation anymore (without denying the latter), and which uncovers not a weakening, but a surprising intensification of consciousness. Objectifs : Cet article présente l’hypothèse, issue du champ de la psychopathologie phénoménologique, de l’hyper-réflexivité schizophrénique, selon laquelle les patients schizophrènes sont pris dans l’expérimentation d’une conscience qui se retrouve contrainte d’interroger des phénomènes qui devraient aller intuitivement de soi. Méthodes : La perspective en première personne est une démarche qualitative complétant la lecture, traditionnelle dans le champ de la psychiatrie, en troisième personne – qui consiste en l’attribution depuis une position externe de signes cliniques repérés indépendamment du ressenti exprimé par le patient. Cette perspective en première personne concentre son attention sur l’expérience subjective qu’exprime le sujet. Le discours de plusieurs patients schizophrènes a été recueilli dans le cadre d’un dispositif clinique en utilisant l’échelle EASE (Examination of Anomalous Self-Experience). Cette échelle permet l’exploration semi-structurée, d’orientation phénoménologique, d’une série de difficultés révélatrices d’anomalies de l’expérience subjective. Résultats : En plus des phénomènes d’hyper-réflexivité, nos analyses mettent en évidence deux grandes caractéristiques de l’être-au-monde schizophrénique. D’abord une problématique du sens commun, qui pose la question de l’intersubjectivité. Ensuite l’existence d’un trouble de l’intercorporéité, les expériences d’hyper-réflexivité schizophrénique s’accompagnant d’une perte du « corps commun ». Conclusions : L’application d’une perspective en première personne dans la compréhension du vécu des patients schizophrènes, ainsi que l’intérêt porté au phénomène d’hyper-réflexivité, permettent de proposer une vision de la schizophrénie qui n’est plus réduite à une lecture déficitaire de celle-ci (sans nier cette dernière), et qui découvre non pas un affaiblissement, mais une intensification de la conscience.

De quoi parlons-nous quand nous parlons de psychosociologie ?

Connexions, 2009

pubblicato in Connexions, [29][30][31][32][33][34][35][36][37] 2009] La psychosociologie n'a jamais eu un statut codifié et reconnu dans la cité des savoirs. Son absence de l'ordre des études universitaires en est une exemplaire expression. D'autre part, ceux qui se définissent comme « psychosociologues » proviennent de formations et de milieux très différents et il est impossible d'assimiler dans un modèle unique les différentes interventions qui se nomment ou sont nommées « psychosociologiques ». Qu'est-ce que, donc, la psychosociologie ? une science, une discipline, un savoir, une pratique ? toutes ces choses ensemble ? et cette ambition de relier savoirs et pratiques différents, qui s'exprime déjà dans le terme « psychosociologie », ne risque-t-elle de se traduire dans un syncrétisme qui masque un mélange hétéroclite ? Pour répondre à ces questions il faut s'interroger sur le statut épistémologique de la psychosociologie et sur le rapport avec les autres « sciences humaines ». Sans aucune prétention de donner des coordonnées universelles et normatives, je me propose d'avancer des réflexions sur une pratique qui, à son tour, nourrit la réflexion. La présentation et la discussion d'un cas d'intervention formative permettra de présenter d'une manière plus discursive les hypothèses.

De quoi parlons-nous quand parlons de psychosociologie?

2009

La psychosociologie n'a jamais eu un statut codifié et reconnu dans la cité des savoirs. Son absence de l'ordre des études universitaires en est une exemplaire expression. D'autre part, ceux qui se définissent comme « psychosociologues » proviennent de formations et de milieux très différents et il est impossible d'assimiler dans un modèle unique les différentes interventions qui se nomment ou sont nommées « psychosociologiques ». Qu'est-ce que, donc, la psychosociologie ? une science, une discipline, un savoir, une pratique ? toutes ces choses ensemble ? et cette ambition de relier savoirs et pratiques différents, qui s'exprime déjà dans le terme « psychosociologie », ne risque-t-elle de se traduire dans un syncrétisme qui masque un mélange hétéroclite ? Pour répondre à ces questions il faut s'interroger sur le statut épistémologique de la psychosociologie et sur le rapport avec les autres « sciences humaines ». Sans aucune prétention de donner des coordonnées universelles et normatives, je me propose d'avancer des réflexions sur une pratique qui, à son tour, nourrit la réflexion. La présentation et la discussion d'un cas d'intervention formative permettra de présenter d'une manière plus discursive les hypothèses. LA QUESTION EPISTEMOLOGIQUE Pour aborder cette question j'utiliserai un outil emprunté à Georges Canguilhem qui, dans son analyse de la psychologie (1956), introduit le concept de « projet ». Quand la méthode a pris la place de l'objet pour conférer l'unité à une science,-écrit Canguilhem-« l'objet de la science ce n'est plus seulement le domaine spécifique des problèmes, des obstacles à résoudre, c'est aussi l'intention et la visée du sujet de la science, c'est le projet spécifique qui constitue comme telle une conscience théorique » (p.366). Dans ce sens, pour comprendre la portée d'une théorie on doit comprendre le projet dans lequel elle s'inscrit. C'est ainsi que Canguilhem organise le savoir psychologique en différents projets qui poursuivent des buts différents en s'occupant soit d'objets différents soit du même objet mais avec de visées différentes. Notons, au passage, que le fait d'inclure dans le champ de recherche le chercheur/intervenant avec son intentionnalité, ses demandes, ses désirs ne tombe pas dans une sorte de psychologisation de la recherche. Au contraire, l'explicitation des intentions du chercheur donne une forme précise à l'organisation du savoir psychologique : on peut comparer les différentes théories en remontant au projet que les inspire ce qui peut rendre plus praticable une confrontation qui trop souvent se présente moins scientifique que passionnel. En effet, le concept de projet permet une critique interne des savoirs psychologiques sans dépendre d'une épistémologie externe. Je me suis permis de modifier l'articulation de Canguilhem en proposant une partition d'un des projets-« la psychologie comme science de la subjectivité »-en deux projets : l'un s'interrogeant sur le rapport sujet/monde et l'autre qui s'occupe du sujet en tant que constructeur du monde brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk