A. JASPART, « Fonctions plurielles de l’humour et du rire en situation d’enfermement », in VANHAMME F. (sld), Justice ! Entre pénalité et socialité vindicatoire, Montréal, Erudit, Collection Livres et Actes, 2011, mis en ligne en 2012, pp. 68-80. (original) (raw)
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Dans la vie quotidienne, on s’attend spontanément à une réaction offensée, ou même violente, lorsqu’une personne est apostrophée au moyen de termes à forte connotation raciste (« négro », « sale youyou », etc.). Toutefois, une observation participante au sein d’un milieu ouvrier fortement interculturel nous a permis d’identifier de nombreuses situations où l’utilisation publique de stéréotypes culturels, voire racistes, déclenchaient au contraire le rire, y compris de la part des personnes qui étaient les cibles de ces blagues a priori douteuses. C’est le rire de ces « victimes » qui constitue le cœur de cet article. Nous tentons d’y montrer en quoi le fait de se lancer des «vannes» racistes, et d’y répondre par des rires, pourrait constituer un moyen de créer et maintenir une forme de communauté en dépit d’une forte hétérogénéité culturelle, répondant ainsi à une nécessité de « faire groupe » générée par les contraintes contextuelles de la vie en usine. La manipulation et l’appropriation de stéréotypes racistes propres à certains contextes multiculturels semblent ainsi participer à la régulation des rapports entre le « nous » professionnel et le « nous » d’origine, notamment par l’établissement de normes exclusivement en vigueur à l’intérieur du groupe de travail. When a person is accosted by the u se of strong racist language, we would normally expect that person to be offended. However, participant observation in a highly intercultural working environm ent allowed us to identify many situations where the public use of cultural or racist stereotypes triggered laughter (rather than offense), even from the people who were the targets of these a priori dubious jokes. Analysis of the laughter of these "victim s" form s the core of this article. We try to show how the act of making racist jokes, and responding with laughter, could be a way to create and maintain a form of community despite a strong cultural heterogeneity , responding thereby to a need to “be one of the guy s” generated by the contextual constraints of factory life. Manipulation and appropriation of racist stereotypes specific to some multicultural contexts seem thereby to play a role in the regulation of relations between an “ethnic we” and a “professional we” which depends itself on the establishment of norms which are exclusively valid within the working group.
Dans les récits concentrationnaires, le camp est souvent comparé à l’enfer. Des survivants aux profils très divers utilisent cette image : le chimiste italien Primo Levi bâtit la structure de Si c’est un homme à partir de La Divine Comédie de Dante, le sociologue allemand Eugen Kogon parle d’abîmes et de damnés dans l’introduction à L’État SS, l’écrivain et éditeur Vercors se contente du mot « enfers » car affirme-t-il, le vocabulaire manque. Condition du Häftling et condition du zek se font écho : l’écrivain Varlam Chalamov affirme à son tour « Je revenais de l’enfer. » (1) Paradoxe pourtant, d’autres adjectifs traditionnellement associés au registre comique en littérature sont utilisés pour désigner le camp : on va parler d’espace ubuesque, kafkaïen, grotesque. Ainsi, David Rousset choisit une citation d’Ubu enchaîné d’Alfred Jarry en épigraphe de L’Univers concentrationnaire, le narrateur des Armes de la nuit chez Vercors parle de « pelotons obscènes et grotesques » en décrivant les déportés, l’écrivain chrétien Jean Cayrol compare le système concentrationnaire à « la machine à tuer l'homme de la ''Colonie Pénitentiaire'' de Kafka » (2). Or, le premier paradoxe est là : si le camp est bel et bien un espace extra-ordinaire pour ses victimes, il est pour les nazis un espace de la norme. Quelle place peut bien occuper le rire dans ces conditions ? Pour reprendre les propos de la chercheuse Andréa Lauterwein : Mais de quel rire parle-t-on ? Le rire se limite-t-il à la dérision ? Est-il forcément impudique, agressif, triomphateur, assassin ? Ne pourrait-on imaginer un rire qui préserve la crainte ou la compassion, la pudeur ? […] Un rire qui ne rit pas d’Auschwitz mais d’« Auschwitz », de ce qui est devenu une métaphore détachée de l’histoire. (3) 1. Varlam Chalamov, « Le Train » in Récits de la Kolyma (Kolymskiïe rasskazy), New York, New Review, 1970, Paris, Verdier, 2003, trad. Anne Coldefy-Faucard et Luba Jurgenson, p. 865. 2. Lettre de Jean Cayrol à Vercors, 1947. 3. Andréa Lauterwein (dir.), Rire, Mémoire, Shoah, Paris, Éditions de l’éclat, 2009, Présentation.
1Le Roman de Fauvel est un texte satirique composé dans le milieu parisien de la chancellerie royale au début du xive siècle, racontant la carrière irrésistible et scandaleuse d'un cheval roux, hissé au sommet du pouvoir et de la société française par le caprice de Fortune. Il en existe deux rédactions : la première version, écrite en 1310 (livre I) et 1314 (livre II), attribuée à Gervais du Bus et conservée dans treize manuscrits, et une version remaniée et interpolée, attribuée à Raoul Chaillou de Pestain vers 1316-1318, conservée dans un manuscrit unique, le Paris, BnF, fr. 1461. 2Ce manuscrit -la plus ancienne des copies conservées -présente la remarquable particularité de constituer un ouvrage « multimédia » : en plus d'une série de 78 miniatures, le Roman de Fauvel est enrichi d'un corpus de 169 pièces musicales latines et vernaculaires notées, dotant le texte d'une espèce de glose iconographique et musicale ininterrompue. Pris dans un jeu d'oscillations (français/latin, lyrique/narratif, textuel/musical), le Fauvel entre dans une dynamique formelle extrêmement féconde sur le plan herméneutique. C'est ainsi une oeuvre nouvelle, riche et complexe que le manuscrit fr. 146 nous donne à lire, nécessitant une analyse particulièrement attentive.