Boucher de perthes satires (original) (raw)
2013 Boucher de Perthes Satires, Contes et chansonnettes La Satire qui attaque les personnes est odieuse, celle qui poursuit les vices est utile. PARIS TREUTTEL ET WURTZ, LIBRAIRES, 1833. Satires contes et chansonettes Satires Les conseils, satire première i Mon frère, au nom de Dieu, veuillez bien m'écouter. Comme je suis l'aîné, j'ai droit de régenter. Le ciel à tous les deux, faute d'autre héritage, Nous a du sens commun accordé l'avantage ; J'en ai su profiter, et je puis aujourd'hui Vivre, et vivre assez bien sans le secours d'autrui. Quand vous êtes pourvu de la même ressource, Pourquoi ne pouvez-vous arrondir votre bourse ? Pourquoi, depuis vingt ans, travaillant jour et nuit, Êtes-vous aussi gueux que le bon Dieu vous fit ? -Hélas ! je n'en sais rien ; je suis honnête et sage ; L'ordre et l'économie habitent mon ménage ; Je n'ai jamais d'un sou fait tort à mon prochain : Je ne suis point joueur, je n'aime pas le vin. -Eh ! je sais tout cela ; pourtant je dois vous dire Que vous n'entendez rien, mon frère, à vous conduire, Et que vous finirez, après maint embarras, Par venir un matin me tomber sur les bras, 5 Satires contes et chansonettes -Ah ! pour vous préserver d'une telle disgrâce. Mon frère, dites-moi ce qu'il faut que je fasse ! -Oui, je vous le dirai : défaites-vous d'abord De cet esprit trop franc qui partout vous fait tort. J'aime la vérité : j'en fais cas, je l'admire ; Quand j'y vois du profit, toujours elle m'inspire ; Mais c'est aussi, messieurs, être trop obligeants Que d'aller la jeter à la tête des gens. Si chacun se piquait d'être aussi charitable, La ville, de nos jours, ne serait pas tenable ; J'aimerais mieux cent fois vivre au milieu des loups. Messieurs les gens de bien, que de vivre avec vous. Apprenez à mentir ii -Quoi ! vous voulez, mon frère, Que j'appelle Midas un Corneille, un Molière ; Luc un homme de bien, Roc un homme poli, Marphore un Malesherbe, et Pasquin un Sully ! iii -Oui, certes, je le veux, prétendez-vous en face Chapitrer monseigneur ?Tant qu'un homme est en place, C'est toujours un grand homme ; iv on lui doit du respect : Quiconque en parle mal à mes yeux est suspect. Quand l'idole est tombée^ alors plus d'indulgence ! Ferme ! allez, vengez-vous de votre complaisance, Dites que c'est un fourbe, un être sans pudeur : Je vous applaudirai, mon frère, de grand coeur. Mais, avant ce moment, gardez-vous de médire. Et montrez-vous l'ami de celui qui peut nuire : Vous saurez, quelque jour, si ce conseil est bon. -Voici, ne vous déplaise, une étrange leçon. Si je vois du mérite à démasquer un traître. 6 Satires contes et chansonettes C'est avant que chacun ait pu le reconnaître ; C'est lorsqu'à l'attaquer il est quelque danger. -Et vous serez le fou qui voudra s'en charger ! Acquérir sans péril le prix de la victoire, Telle est, monsieur, telle est la véritable gloire. Laissez quelqu'insensé frapper les premiers coups : S'il réussit, alors vous direz que c'est vous. -On ne le croira point. -Il faudra le redire. -Mais on se moquera. -Permis aux gens de rire. Vous le répéterez et vous crierez plus fort : Quand on a la voix bonne, on a rarement tort. Sur l'art de s'illustrer nous reviendrons ensuite. Examinons d'abord quelle est votre conduite, Et ce que vous devez à vos rares vertus. Vous aviez une place, et vous ne l'avez plus. v -Je fus destitué, j'en conviens : mais, mon frère, Est-ce un reproche encor que vous voulez me faire ? Davis est accuse par un homme puissant : Les faits sont controuvés, Davis est innocent ; De l'esprit de parti l'on reconnaît l'ouvrage, Et pour perdre Davis on veut mon témoignage. Devais-je le donner ? -Eh ! Monsieur, pourquoi non ? Quand un homme est ministre, il a toujours raison ; Il faut croire en aveugle à tout ce qu'il atteste. Aimer ceux qu'il chérit, haïr ceux qu'il déleste. Il vous sied bien, vraiment, pauvre petit commis, De vous croire meilleur que le fils de Thémis. De vouloir contre lui défendre l'innocence, Et prétendre juger mieux que sa conscience ! 7 Satires contes et chansonettes On demande un témoin et non pas un avis, Vous deviez témoigner contre votre Davis.