"La traduction, arme défensive ? à propos de la réponse en langue française au Mars Gallicus", 6-8 décembre 2012 : "Bayonne, berceau du jansénisme ? Naissance et cristallisation du mouvement janséniste dans la société de son temps (1610-1643)". Colloque organisé par Thierry Issartel (original) (raw)

À la suite de la prise de La Rochelle en octobre 1628, l’une des ambitions du cardinal de Richelieu est de rétablir l’unité nationale autour d’un catholicisme gallican et de renforcer la puissance de la monarchie. Il lui fallait donc parvenir à un consensus national entre catholiques et protestants en renonçant à convertir par la force. Cette volonté de pacification conduisit Richelieu à avoir de moins en moins recours à la littérature pamphlétaire qui attisait les antagonismes et à réunir autour de lui une équipe d’hommes de lettres, de juristes, de théologiens, de penseurs politiques qui avaient pour mission de diffuser de manière très didactique et pédagogique, par le biais de traités, la politique intérieure et étrangère qu’il menait aux côtés de Louis XIII. La constitution de ce groupe se finalisa en 1634 par la fondation de l’Académie française dont une majorité des membres étaient issus de ce groupe de lettrés. Suite à la publication des Questions decidées sur la justice des armes du roi de France, sur les alliances avec les heretiques ou infideles d’Arroy Besian en 1634, destinées à justifier les alliances françaises avec les pays protestants contre l’Espagne, Cornelius Jansénius réplique en publiant en 1636, sous le pseudonyme d’Alexandre-Patrice Armacan, le Mars Gallicus. Ce libelle, destiné notamment à faire oublier à l’Espagne ses prises de positions sur l’émancipation des Pays-Bas, condamnait la politique d’alliances de la France avec les princes protestants afin de lutter contre l’Espagne et s’attaquait aux pouvoirs des rois de France et à leur légitimité. L’ouvrage connut un tel retentissement à travers toute l’Europe dans sa version latine, puis dans sa traduction française en 1637 par Charles Hersent, que Richelieu ne put l’ignorer ; il fit appelle au cercle de lettrés qui s’était constitué autour de lui et du chancelier Séguier et arrangea une réfutation officielle. Le premier à tenter de répondre à Jansénius, le père Denis Cohon, évêque de Nîmes, publie un pamphlet loin d’être à la hauteur de celui de l’évêque d’Ypres, qui ne parvient pas à atteindre son but. C’est Daniel de Priézac, Docteur Régent de l’Université de Bordeaux, appelé à Paris par le chancelier Séguier qui le nomma conseiller d’État ordinaire, qui publia, en 1638, les Vindicæ Gallicæ, Adversus Alexandrum Patricium Armacandum, Theologum, sans doute la réponse la plus habile et la plus importante à l’œuvre de Jansénius. Le 18 février 1639, un privilège était accordé à Pierre Rocolet pour la traduction française de ce texte par Jean Baudoin sous le titre de Defence des Droits et Prerogatives des Rois de France, certainement sous l’impulsion du cardinal puisque Baudoin, interprète du roi en langues étrangères, était également l’un des membres du cabinet de lettrés de Richelieu depuis au moins 1631 et l’un des premiers Académiciens français. La réponse de Daniel de Priézac, toute aussi vive que la diatribe de Jansénius, correspondait parfaitement au point de vue officiel, ce qui valut à son auteur, d’être élu, le 22 février 1639 à l’Académie française, soit quatre jours après l’octroi du privilège pour la traduction. Notre propos sera de montrer comment la Defence des Droits et Prerogatives des Rois de France, réfutant point par point les thèses développées par Jansénius dans son Mars Gallicus, fut l’un des rares ouvrages à analyser la doctrine de la raison d’État ; et comment ses deux auteurs défendirent le gallicanisme catholique prôné par Richelieu et contribuèrent à élaborer la théorie de la souveraineté royale.