Les paradoxes du Parti africain de l'indépendance (PAI) au Sénégal  autour de la décennie 1960 (original) (raw)

En 1957 naissait au Sénégal, une formation politique considérée comme le premier parti communiste d'Afrique de l'Ouest : le Parti africain de l'indépendance (PAI), revendiquant à la fois la nécessité de « l'indépendance immédiate » et la référence à un modèle de « socialisme scientifique ». Trois ans plus tard, le parti était interdit mais n'en continuait pas moins à exister dans la clandestinité. Il s'agit d'une histoire méconnue, largement occultée, voire refoulée de « l'histoire officielle », à l'image de ce qui s'est passé dans d'autres pays où des mouvements ou organisations anticolonialistes radicaux ont connu la défaite, au profit de gouvernants qui correspondaient au profil souhaité par l'ancienne puissance coloniale comme au Cameroun (Mbembe in : Um Nyobe, 1993) ou encore au Niger (Van Walraven, in : Abbink, De Bruijn & Van Walraven 2003). Un autre obstacle épistémologique qui se dresse lorsqu'on aborde l'étude du PAI tient au fait que la science politique africaniste ne s'est guère intéressée à la sociologie des partis politiques pour la période qui nous intéresse 1. De plus, dans le cas du Sénégal, les auteurs ont surtout retenu « l'histoire des vainqueurs », soit de manière explicite et délibérée (Zuccarelli, 1970) soit sur un mode implicite ou non conscient (Hesseling, 1985) 2 Plus récemment cette mémoire occultée a ressurgi notamment à l'occasion du cinquantenaire de la naissance du PAI. Des témoignages écrits de la part d'anciens militants ayant appartenu au PAI dès sa création sont désormais disponibles 3. Mais beaucoup sont déjà décédés et les rangs des survivants sont de plus en plus clairsemés. Nous avons pu nous entretenir avec certains d'entre eux mais ces mémoires individuelles éparses sont une source d'information historique à utiliser avec prudence pour plusieurs raisons :-les décennies écoulées ont pu altérer la précision des souvenirs, notamment pour ce qui est de la chronologie ;-ensuite, ces militants ne peuvent avoir qu'une vision parcellaire car, durant la clandestinité, le cloisonnement organisationnel faisait qu'ils ne pouvaient avoir qu'une connaissance limitée des activités du parti ;-les documents écrits (tracts, journaux, textes de congrès, directives, courriers) sont peu disponibles, ce qui peut se comprendre car la détention de ces derniers était considérée comme un délit passible de peines d'amende et de prison. (du fait de la loi sur les associations séditieuses de 1965) 4. 1 On ne peut citer que très peu d'ouvrages de référence en science politique concernant cette période autour des indépendances, significativement écrits par des auteurs anglo-saxons (Morgenthau, 1964 ; Zolberg, 1971). 2 La seule publication qui ait traité explicitement du PAI, notamment de l'expérience de la guérilla de 1964-65, est le fait d'un auteur américain (Foltz, 1969) 3 Le premier ouvrage de ce type à avoir été publié semble être celui de l'ancien responsable du parti à Saint Louis qui a vécu l'époque de la création du parti et de la clandestinité (Wade, 2000) Peu avant son décès, le leader historique du parti, Majhemout Diop, a publié ses « mémoires de lutte » (Diop, 2007). D'autres publications qui contestent fortement la version de ce dernier sont parues depuis : le résumé des contributions au colloque pour le cinquantenaire du manifeste du PAI (CNP, 2012) ou encore l'histoire interne du parti vu par le responsable du maquis du Sénégal oriental (Camara, 2013). Enfin tout récemment, les ouvrages du président du Comité national préparatoire pour la commémoration du cinquantenaire du PAI (Niang, 2014 ; Niang , à paraître courant 2016). D'autres textes sont parfois disponibles sur des sites internet : des témoignages de la part d'anciens militants ainsi que des interviews ou des notices nécrologiques à l'occasion des nombreux décès survenus ces dernières années. 4 Ces documents rares existent cependant mais les militants qui en possèdent ne les communiquent pas facilement. Ils sont souvent cités voire reproduits dans les ouvrages de témoignages dont il a été question, mais à ce jour, il n'existe pas d'archives à proprement parler, ce qui pose un problème pour écrire l'histoire sur un plan scientifique. Ainsi, certains documents qu'il serait nécessaire de connaître pour écrire une histoire programmatique du PAI et de ses scissions sont « portés disparus » et ne réapparaîtront probablement jamais.