"Procès de la fiction": les théories implicites de ladoctrine juridique" (original) (raw)
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Fictions juridiques. Remarques sur quelques procédés fictionnels en usage chez les juristes
C omme toutes les enquêtes sérieuses, une enquête sur les ctions juridiques doit commencer par préciser ce dont on parle, quel est lobjet de len-quête. La tâche est particulièrement redoutable, non seulement parce quaucune dénition de la ction juridique nest unanimement acceptée (ce qui est le destin partagé de tous les concepts intéressants) mais parce quil pourrait savérer impossible de parler sérieusement des ctions juridiques si par sérieuse-ment on entend « sans feinter ». Dans le cas des ctions juridiques, l'objet ne se contente pas d'être dicile à cerner dans une dénition, il ne cesse littéralement de se dérober. On a beau chercher dans la littérature juridique, on ne trouve aucun procédé dont on puisse dire avec certitude : « cest une ction ». On rencontre certes de nombreux exemples de ctions juridiques célèbres mais, pour chacun de ces exemples, il se trouve aussi des juristes sérieux qui refusent de considérer que ces procédés sont ctionnels. Ce nest pas seulement la dénition, cest le matériau même qui se dérobe. 1. Une première version de cet article a été écrite en 2008, au cours dune année de recherche passée dans le cadre enchanteur et accueillant de lInstitut de Recherches en Humanités de lUniversité de Kyoto, où mavait conduit la généreuse hospitalité du professeur Oura que je nai pas assez de mots pour remercier ici. Cette première version a été publiée dans la revue Zinbun (n°43, 2011). Des expo-sés publics en ont été proposés au cours du séminaire du professeur Oura au Centre des Humanités (2008), à lUniversité de Kwansei Gakuin (2008), à linvitation du professeur Hirotsugu Yamajo, puis au séminaire doctoral de lÉcole de droit de Sciences Po (2009). À chacune de ces occasions, jai eu la chance de proter de la très grande richesse des remarques et critiques des participants. Je remercie A. Kubo pour son aide très précieuse dans la préparation du premier de ces séminaires, Manuela Hesse et Didier Boyer pour leur amical soutien. Je suis particulièrement reconnaissant à Louis Assier-Andrieu, Denis Baranger, Benoît Frydman, Duncan Kennedy et Guillaume Tusseau qui ont bien voulu lire et relire, commenter et critiquer des versions antérieures de ce texte, maidant ainsi à le purger de nombre derreurs et maladresses. Celles qui ont échappé à la purge me sont imputables.
Les fictions en droit, 2015
Les fictions sont-elles des éléments indispensables de la technique juridique ou des facilités que le perfectionnement du droit a vocation à faire disparaître (une sorte « d'enfance du droit » 1) ? Telle est la question que Demogue posait au commencement du chapitre V de ses Notions fondamen-tales consacré aux fictions. On sait que Jhering optait plutôt pour la deuxième branche de l'alternative : la science du droit a pour mission de remplacer les fictions, à raison de leur imperfection, par des moyens plus parfaits 2. L'empire des fictions at -il pour autant décru depuis Rome, comme aurait dû l'impliquer la conception de l'illustre romaniste ? Les raisons, notamment l'économie de moyens-en étendant le champ d'application de règles connues on se dispense de la création d'une règle nouvelle pour le cas à régler-et le conservatisme-la fiction permet le respect, au moins apparent, des règles : du préteur romain on a pu dire avec justesse qu'il « innovait sans paraître changer le droit ancien » 3-, qui ont incité le droit et les juristes romains à recourir aux fictions ont-elles 1 R. DEMOGUE, Les notions fondamentales, Paris, 1911, p. 242. 2 R. Von IHERING, Esprit du droit romain, IV, p. 296. Le même estimait cependant que « au désordre sans fiction est mille fois préférable l'ordre avec fiction » (ibid., p. 295) et reconnaissait donc l'utilité de ce mécanisme, contrairement à Bentham, dont l'aversion pour les fictions n'est plus à établir. 3 R. DEMOGUE, op. cit. (n. 1), p. 239. tiré de : Les fictions en droit, A.-B. Caire (dir.), Paris, LGDJ, 2015
Le Procès de la fiction - 2017
Dysfunction, 2017
Le Procès de fiction - Événement curatorial conçu et organisé par Kantuta Quiros et Aliocha Imhoff - Nuit Blanche Paris 2017
Le mélange des genres chez Lucien : le cas de la rhétorique judiciaire
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2017
en particulier sur la poétique de cet auteur et sur les rapports qu'il entretient avec le monde romain. Il existe sans doute plusieurs raisons acceptables pour caractériser l'oeuvre de Lucien par la notion de mélange. En effet, Lucien est volontiers défini comme un satiriste par les commentateurs modernes 1 et, de son côté, il revendique comme principal fait d'armes littéraire l'invention du dialogue comique. Quel que soit le point de vue retenu, c'est donc l'idée de mixis qui apparaît comme le coeur de la poétique lucianesque : en effet, la satire, genre essentiellement romain 2 , tire son nom du mot satura qui signifie «mélange 3 », et d'autre part, le dialogue comique que Lucien se targue d'avoir inventé est lui-même présenté comme une création hybride 4. En outre, on trouve chez Lucien de très nombreuses pièces au caractère judiciaire plus ou moins marqué : la fréquence des scènes de tribunal est un trait distinctif de sa production. Rien d'étonnant à cela, puisqu'il avait initialement embrassé une carrière d'avocat 5 et qu'il était donc rompu à la pratique du logos dikanikos; de plus, ce type de discours paraît tout désigné pour servir efficacement la cause de la satire. En effet, si le dialogue philosophique de type platonicien-dont Lucien reconnaît s'être à la fois inspiré et écarté 6est apte à concilier les opinions contraires et à aboutir à un accord entre deux interlocuteurs qu'a priori tout oppose, en revanche, la forme du procès apparaît comme le lieu d'une confrontation indépassable, l'expression de deux points de vue opposés entre lesquels, bien loin de trouver une sorte de moyen terme à l'amiable, un tiers tranchera. On peut, à cet égard, se rappeler que le verbe « plaider » traduit le grec ἀγωνίζομαι, et que les deux discours d'accusation et de défense forment un ἀγών, c'est-à-dire un face-à-face. Dans la mesure où les deux parties plaident chacune leur tour, sans temps pour la synthèse ou la conciliation, la forme judiciaire paraît donc tout particulièrement en phase avec la satire, qui, à certains égards, peut être définie comme «le genre du franc-parler et des attaques nominatives 7 », et suppose donc le choc de deux visions opposées.
Le démon de la catégorie. Retour sur la qualification en droit et en littérature, à paraitre en 2017
Nombreux sont les acteurs du livre 1 ou encore les associations militant en faveur des droits de l'homme 2 à avoir multiplié les signaux d'alerte depuis une quinzaine d'années pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une judiciarisation liberticide du monde de l'édition. Une menace inédite par son ampleur venant du droit pèserait ainsi sur la littérature et sur la liberté de création des écrivains en France et aurait l'effet dommageable de « nui[re] à la créativité littéraire » et de conduire l'auteur et l'éditeur à « s'autocensurer 3 ». Non sans paradoxe, la société française réaffirmerait la liberté d'expression comme principe phare de sa démocratie tout en lui portant gravement et régulièrement atteinte. Le point de rencontre du droit et de la littérature est pensé sur le modèle d'un affrontement déséquilibré qui aurait tendance à restreindre le champ de la seconde. Une nouvelle forme de censure de la littérature tendrait à se généraliser en France, que la critique universitaire a par ailleurs bien repérée en prenant ponctuellement pour objet d'études quelques affaires récentes de littérature portée devant les tribunaux 4 sans jamais en proposer d'étude synthétique. Nous voudrions présenter ici les résultats d'une enquête concernant les catégories 5 mobilisées dans les procès de fictions 6. Inspiré des méthodes d'analyse du discours, ce travail cherche à évaluer les fondements de ce sentiment de judiciarisation nouvelle de la fiction 7. Il s'agit d'observer sans parti-pris axiologique les manières dont les juristes lisent les fictions lorsqu'elles deviennent objets de droit et de décrire leurs protocoles interprétatifs et les outils de qualification dont ils font usage 8. Pour ce faire, notre étude s'appuiera sur un corpus de discours juridiques ayant trait à la question de la fiction 9 : il rassemble des jugements de première instance, des arrêts de la cour d'appel et de la cour de cassation, des conclusions rédigées par des avocats mais aussi des discours tenus par un large éventail d'acteurs de cette dite judiciarisation de la fiction lors d'entretiens que nous avons menés auprès d'avocats, de magistrats et de responsables des services juridiques de grandes maisons d'éditions françaises. En analysant le corpus, on voit comment se forgent des catégories sur lesquelles s'appuie la formulation de grands principes de jugement du caractère licite ou non d'une fiction. 1 Dans son livre blanc Justice et Édition, le Syndicat National de l'Édition (SNE) dénonce un « développement considérable » des livres jugés pour affaires de presse et alerte « les magistrats, mais aussi la presse, les milieux politiques et le public, sur la nature et les effets d'un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur : la fréquence du recours au juge en matière éditoriale », 2002. 2 On pense par exemple à la Ligue des droits de l'homme qui a fait de cette pression nouvelle sur la culture et les arts l'un de ses sujets de préoccupation majeurs, en créant en 2002 sous la houlette de l'avocate A. Tricoire un Observatoire de la liberté de création France dont la vocation affichée est de « lutter contre la censure des oeuvres et de leur diffusion ». 3 Justice et Édition, op. cit., p. 16. 4 Dans le champ des études littéraires, on peut citer notamment C. Baron, A. Gefen, J.-L. Jeannelle, F. Lavocat et C. Grall. En sociologie de la littérature ensuite, quelques études de G. Sapiro portent sur la période contemporaine (ses principales publications sont consacrées à la question de la responsabilité de l'écrivain aux XIX e et XX e siècles). 5 Je définis la catégorie comme un concept auquel les juristes ont recours soit dans les motivations des décisions de justice soit dans les argumentaires des avocats dans la formulation de principes jurisprudentiels. 6 Notre enquête dépasse les catégories sur lesquelles nous nous focaliserons ici, l'identification et la distanciation. 7 Nombreux sont les discours alarmistes sur ce point, lesquels voient un retour en force de la censure depuis les années 2000. Les acteurs du livre ou encore les associations militant en faveur des droits de l'homme (Observatoire de la liberté de création par exemple) ont été plusieurs à tirer la sonnette d'alarme depuis les années 2000 pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une judiciarisation liberticide du monde de l'édition. Une menace inédite par son ampleur venant du droit pèserait sur la littérature et sur la liberté de création des écrivains en France. Dans son livre blanc Justice et édition par exemple, le Syndicat National de l'Édition (SNE) dénonce un « développement considérable » des livres jugés pour affaires de presse et alerte « les magistrats, mais aussi la presse, les milieux politiques et le public, sur la nature et les effets d'un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur : la fréquence du recours au juge en matière éditoriale ». 8 Notre travail s'inscrit ainsi dans le prolongement de l'étude des communautés interprétatives, telles qu'elles ont été définies par Stanley Fish comme communautés d'interprètes qui se fondent sur des codes de réception partagés, puis intégrées par Roger Chartier aux concepts de l'histoire de la lecture. 9 Le critère de constitution du corpus que nous avons retenu repose sur la présence dans ces discours du terme de fiction.
Parler de loin ou bien se taire": quand la fiction manipule le discours
Longhi Julien, 2012
Ziel dieses Artikels ist, zwei diskursive Strategien in literarischen Texten anhand der dialogischen Theorie zu untersuchen, dort wo das Sprechen von Anderen unterdrückt oder verfälscht zu werden droht. Was bleibt dem Sprecher in solchen Fällen übrig? Die Antwort der Klassiker lautet: "Von weitem reden". Dieses Motto stammt aus La Fontaine's Fabeln, und gilt als eine Strategie des Widerstandes gegen die Mächtigen, gegen die Zensur. Was passiert, wenn Aussagen von Anderen übernommen und weitergegen werden? Der notwendige Weg der Selbstdistanzierung zeichnet dann neue Territorien innerhalb der Literatur.