UNE “DERIVE” DANS LES TRANSFORMATIONS DU LEXIQUE LATIN? ESQUISSE D’UNE HYPOTHÈSE (original) (raw)

L’USAGE DU LATIN DANS NOTRE DAME DE PARIS : ENTRE « EFFET DE SAVOIR » ET GROTESQUE

Godišnjak Filozofskog fakulteta u Novom Sadu, 2020

Le narrateur et les personnages du premier grand roman de Victor Hugo, Notre Dame de Paris 1482 (1831) parlent chacun en son propre jargon : le latin occupe parmi eux une place d’honneur. Nous nous penchons d’abord sur le statut de la langue et de la culture latine en France au début du XIXe siècle, puis passons en revue les principaux préceptes esthétiques exposés par Hugo dans sa fameuse Préface de Cromwell, dont les plus importants sont celui de l’alliance du grotesque et du sublime en poésie, comme dans la nature, ainsi que l’importance de la présence de la couleur des temps dans une oeuvre littéraire. Nous analysons ensuite le corpus des exemples de mots et de phrases prononcés ou écrits en latin en offrant une brève classification des formes sous lesquelles ils apparaissent, à savoir : des microtoponymes, des inscriptions et des devises, des titres d’ouvrages, des citations des oeuvres antiques et médiévales, de la Bible et des prières chrétiennes, des termes du droit et de la religion, des proverbes, la mention des documents, chartes et ordonnances, certains noms de personnages romanesques d’origine latine et enfin, du latin de « cuisine », un latin corrompu et fantasque. Dans cette abundantia (Vaillant, 1996) cependant, nous relevons deux principales visées - différentes voire opposées - d’une part le souci de produire « l’effet de savoir », la dignité, la gravité, le sublime même, et de l’autre, celui de faire naître le rire en ridiculisant et parodiant les discours idéologiques dominants, en les détournant à des fins laïques, en les rabaissant et les ramenant aux beuveries et aux besoins charnels dans un esprit carnavalesque. Mots clés : Victor Hugo, Notre Dame de Paris, latin, « effet de savoir », grotesque.

Comment les déclinaisons latines ont disparu

J'essaie de montrer ici, avec des exemples, que c'est la fréquence croissante des prépositions qui a fait un terrain favorable à la disparition des déclinaisons. Il s'agit d'un problème traditionnel de linguistique historique qui permet de bien voir l'importance de faits généraux. Ces cinq pages sont issues de remarques faites en avril 2015 à l'occasion du séminaire "Problèmes d'analyse et de comparaison des langues", au laboratoire LACITO du CNRS.

UNE SUBVERSION DOUCE. LA DECONSTRUCTION DE L'AUTORITE CANONIQUE CHEZ CALVIN

On connaît l'influence déterminante qu'eurent les canonistes sur la construction du gouvernement pontifical, dans la ligne de l'orientation théocratique impulsée par l'Église grégorienne. Par contraste, la réflexion institutionnelle des premiers réformateurs protestants peut sembler en retrait, eu égard aux préoccupations d'ordre spirituel et théologique qu'ils affichent dans leurs écrits. Pourtant, à s'en tenir à ce constat de carence, on ferait peu de cas des données du contexte historique et des expériences biographiques des pères fondateurs de la Réforme. Ainsi, pour ne considérer que ces deux exemples, la réaction luthérienne de Wittemberg s'enracina d'abord dans le scandale ecclésial des indulgences. Quant à la pensée théologique de Calvin, elle fut pour partie imprégnée par de la formation juridique reçue dans sa jeunesse. Théologien, le père de la réforme française fut en effet aussi juriste, et c'est en juriste qu'il posa les fondements de l'Église qu'il s'attacha à construire. A ce titre sa réflexion ecclésiologique fut redevable, dans une proportion qu'il conviendra de préciser, à un enseignement du droit reçu successivement à Orléans, de Pierre Taisan de l'Estoile, puis à Bourges, de l'italien Alciat, l'un des principaux promoteurs de l'humanisme juridique en France. D'une certaine manière, l'entreprise de réformation menée par Calvin sur le plan religieux, avec son retour aux références patristiques et son souci d'historicisation de la religion n'est d'ailleurs pas sans analogie avec le travail mené par Alciat sur le droit romain, qui visa à développer une lecture critique des autorités médiévales liées à la glose et à rattacher le droit aux belles lettres, en travaillant sur la morphologie de l'objet juridique 1. Un tel décryptage de la pensée théologique calvinienne à l'aune du droit n'est toutefois pas sans poser un certain nombre de problèmes. En premier lieu, il soulève une difficulté matérielle de sources. Sauf découverte improbable, il n'est pas possible de démontrer de manière irréfutable l'existence d'une influence directe de l'enseignement orléanais ou berruyer sur la « pensée de Calvin ». Au demeurant, il est vain de se demander si cette pensée aurait été différente dans l'hypothèse où le réformateur protestant aurait été initié au droit à Toulouse ou à Montpellier. Il s'agirait là d'un pur jeu spéculatif qui n'apporterait rien de tangible à la compréhension de son oeuvre. En outre, plutôt que de se lancer dans le défi impossible d'une biographie intellectuelle réalisée à partir d'indices matériels extérieurs établissant de façon irréfutable l'existence d'interactions connues, mieux vaut partir des travaux produits par Calvin lui même et raisonner sur ses textes, de manière indirecte, par inférence et déduction. S'il n'est donc pas possible de préciser en toute rigueur ce que « la pensée de Calvin » doit à sa formation en droit reçue à Orléans et à Bourges, il est du moins loisible de cerner au plus près l'orientation juridique de cette même pensée. 1 Sur cette question, voy. M. Bassano et C. Leveleux-Teixeira, « Alciat et la morphologie du droit », à paraître chez Klincksieck dans Hommes de lettres, hommes de loi. Bourges à la Renaissance, s. d. St. Geonget, 2010.

L’acculturation dionysiaque : l’invention d’une altérité

Dionysos a souvent été défini comme la « figure de l’Autre », mais de l’Autre familier, partiellement intégré, de la Grèce à Rome, par exemple. Tout aussi romain soit-il, originellement, cultuellement et publiquement, avec une évolution régulière et nécessaire au contact des cultures environnantes, dont le dénominateur commun est le monde hellénique, l’image du dionysisme est constamment réélaborée comme exclusivement grecque dès la fin du IIIe siècle av. J.-C. Les réactions les plus violentes, « contre-acculturatives », comme la répression de 186 ou le rejet de l’hellénisme oriental d’Antoine, relèvent de la prise de conscience d’un danger identitaire alors que le processus est en cours depuis longtemps. Lorsqu’il n’est pas senti comme un danger, il devient l’enjeu d’une affirmation plus ou moins prononcée d’un philhellénisme intellectuel, politique ou artistique : en jouant sur tous les noms grecs de Dionysos, les poètes synthétisent son image dans une configuration purement romaine, quitte pour ce faire à employer un langage très hellénistique et un jeu d’émulation métapoétique évident. De même dans les arts figurés, la référence stylistique aux différentes parties du monde grec relève bien souvent d’une contre-image majorée, insistant sur un classicisme ou un orientalisme réinventé, le plus souvent grâce au jeu complexe de la composition décorative. En ce sens, les images dionysiaques sont bien le fruit d’une réaction à l’acculturation gréco-romaine, qui dissimulent une réalité religieuse bien plus anodine, mais non moins signifiante, loin de là.

GÉNÈSE LEXICALE DANS LES LANGUES EUROPÉENNES OCCIDENTALES : L’INFLUENCE GRÉCO-LATINE E LE PROFIL IDÉOLOGIQUE DU LEXIQUE

Abstract: Western Europe is constituted by ethnically and linguistically different peoples that, yet, due to the cultural influence of ancient Greece and Rome, have established a unique civilisation. The unifying influence of classical culture is reflected by the ideology of these peoples and, consequently, by their languages. This paper seeks to explain the dynamics of creation and renewal of the lexicon of the Western European languages (Romance and Germanic languages) from a point of view both neological and etymological, that is, on the basis of the origin and the processes of production of lexical units in view of the tension between the classical (of Greco-Latin influence) and the vulgar.

Genèse d’un supplétisme : variations diastratiques, diaphasiques et diatopiques dans le procès de “manger”, du latin jusqu’aux langues romanes

in Christian LEHMANN et Concepción CABRILLANA (éd.), Acta XIV Colloquii Internationalis Linguisticae Latinae (Bibliotheca Linguae Latinae, 5), Ediciones Clásicas, Madrid, p. 45-58., 2015

Cette étude s’intéresse à la genèse du supplétisme de ēsse “manger” remplacé par mandūcāre dans certaines langues romanes, le plus souvent posé en dehors de toute considération réellement diachronique et textuelle. Il faut se demander dans quelles conditions mandūcāre signifie en latin simplement “manger” et fonctionne syntaxiquement et lexicalement comme fr. manger. Il apparaît en fait que le supplétisme s’est installé au terme d’un très long processus pluridimensionnel et graduel. Nous nous interrogerons d’abord sur les raisons du supplétisme – au-delà de toute considération morphologique, le procès en lui-même, par son caractère quotidien et commun, concourt à favoriser ce phénomène –, avant de présenter plusieurs lexèmes qui ont parfois été employés dès le latin archaïque au sens de “manger” : comēsse, cēnāre, uescī, epularī, mandere, gustāre. Enfin, en suivant l’évolution du supplétisme tout au long de la latinité, nous définirons quatre phases, qui tiennent compte des variations diaphasiques, diastratiques et diatopiques du latin et des futurs supplétismes des langues romanes. Abstract : The current study focuses on the genesis and the historical development of suppletion in Latin verb ēsse “to eat” replaced by mandūcāre in some Romance languages, that usually is set up without any actual diachronic and textual consideration. We have to wonder about conditions in which mandūcāre simply means in Latin “to eat” and syntactically and lexically functions as Fr. manger. It appears that the suppletion settled at the end of a very long gradual and multidimensional process. First we will examine the reasons for the suppletion - beyond any morphological consideration, the meaning itself helps to promote this phenomenon with its daily and common feature - before presenting a number of verbs which sometimes from Old Latin were used to mean “to eat”: comēsse, cēnāre, uescī, epularī, mandere, gustāre. Finally, following the evolution of suppletion throughout the Latin world, we will define four phases taking into account diaphasic, diastratic and diatopic variations from Latin paradigms to the future suppletions in the Roman languages.