L'État dans ses colonies : les administrateurs de l’empire espagnol au XIXe siècle JEAN-PHILIPPE LUIS (ÉD.) (original) (raw)

L’hispanisme, courant intellectuel d’origine française qui naît vers la fin du XIXème siècle de la main de figures de renom tels que le professeur Alfred Morel-Fatio, se dédie complètement, et en appliquant les dernières méthodes scientifiques de l’époque, à l’étude des aspects historiques, philologiques, littéraires... en lien avec la culture de l’Espagne. Ce courant regroupe de nombreux intellectuels qui se situent dans et en dehors des institutions académiques. De ce fait, dès l’origine de l’hispanisme en France jusqu’à la décennie 1930, deux visions différentes de leur travail, provoqueront des affrontements entre les hispanistes à cause de leurs conceptions, héritées parfois directement, du milieu auquel ils appartiennent. Une fois cette brève remarque mise en évidence, j’évoquerai la raison d’être et les particularités de celui qui fut le premier organe de diffusion de l’hispanisme en France : La Revue Hispanique. Fondée en 1894 par Raymond Foulché-Delbosc et comptant parmi ses principaux collaborateurs, Georges Desdevises du Dézert, Henri Peseux- Richard, Lucien Barrau-Dihigo, Adolfo Bonilla y San Martín ou Joaquim Miret i Sans, la revue a pour objectif de diffuser les nouvelles sur tout type d’études concernant le milieu hispanique. Une publication profondément marquée par la ligne directrice défendue par son directeur et fondateur, Foulché-Delbosc, qui croît que le but fondamental est de publier des articles et comptes rendus non seulement à caractère de divulgation mais aussi d’une grande spécialisation, point d’inflexion par rapport à la vision académique que défendra le Bulletin Hispanique dès 1899 jusqu’à nos jours. Compte tenu que la Revue Hispanique, malgré sa ligne directrice, regroupe des intellectuels des divers pays aussi bien dans et hors les institutions d’époque ainsi que par le nombre d’articles dédiés au sujet de l’Empire Espagnol, j’ai jugé préférable une étude sur la vision des hispanistes français et espagnols de la fin du XIXème début du XXème siècle à travers les articles et comptes rendus publiés dans cette revue, de façon 1 à avoir un plus grand angle d’observation du phénomène de construction et/ou récit concernant l’ancien Empire Espagnol. À travers les 28 articles et comptes rendus parus dans la Revue Hispanique sur la thématique de l’Espagne impériale on verra quels sont les phénomènes de reconstruction du passé de cet Empire, les façons de construire un/des récits sur la période, les divergences entre français et espagnols à l’heure d’aborder la question ainsi que l’évolution de l’image de l’Espagne et l’influence des événement contemporains sur l’écriture des hispanistes. Avant d’étudier les articles, il me paraît nécessaire de signaler l’une de plus importantes problématiques qui entourent cette thématique. Pendant de longues années, la France avec d’autres nations européennes telles que l’Angleterre ou les Pays-Bas, se voyant confrontées à l’hégémonie espagnole des XVI-XVIIe siècles, essayeront de réduire cette puissance non seulement par la force des armes et des guerres, mais aussi par la propagande. De ce fait, un ensemble d’exagérations et d’inventions péjoratives auraient été faites sur les évènements historiques et les institutions espagnoles avec la seule finalité de nuire au pouvoir espagnol. Ce phénomène insiste notamment sur la cruauté espagnole par le biais de l’Inquisition ainsi que sur les massacres des peuples indiens, dans l’objectif de donner une image négative, fanatique et obscure de l’Espagne Impériale. Ledit phénomène est désigné par l’historien espagnol Julián Juderías (1877- 1918)1 comme « légende noire » de l’Espagne, terme inventé et divulgué par lui-même dans son plus célèbre ouvrage2. Il s’agit d’une expression qui perdure dans le temps, visible dans des ouvrages historiques récents qui traitent de cette thématique3. Ce bref exposé de l’évolution de l’image, plutôt négative de l’Espagne dans d’autres nations européennes, nous permet de comprendre l’ambiance intellectuelle existant avant la parution des articles que l’on analysera maintenant. 1 Fonctionnaire du Ministère d’État du gouvernement de l’Espagne, sociologue, traducteur, historien et membre de l’Académie Royale de l’Histoire 2 La leyenda negra y la verdad histórica: contribución al estudio del concepto de España en Europa, de las causas de este concepto y de la tolerancia política y religiosa en los países civilizados, Madrid, Tip. de la Revista de Archivos, 1914 3 PÉREZ, Joseph, La légende noire de l’Espagne, Paris, Fayard, 2009 2 Pour une meilleure compréhension de notre sujet, j’aborderai les articles concernant l’Empire Espagnol en trois temps, à savoir : un intérêt pour tous les éléments qui structurent et définissent l’empire, les débats autour des termes et des diverses interprétations historiques, et le double jugement des Espagnols.