La fiction télévisuelle à la découverte du réel: Tradition et postmodernité dans la série espagnole Aída (original) (raw)

La production de fiction espagnole s'est trouvée bouleversée par l'apparition de la télévision privée en 1989. C'est une chaîne privée, Antena 3, qui a relancé la fiction privée à partir de 1991, avec le succès de Farmacia de guardia. Quant à la série Aída, elle a été diffusée à l'origine par une autre chaîne privée, Telecinco. Aída est une spin-off: une fiction dérivée d'une fiction antérieure (Siete hermanos) qui reprend plusieurs de ses personnages dont Aída qui était une femme de ménage. Mais Aída reflète aussi une mutation transgénérique très actuelle au sein des quatre grands genres de la série: le drama, la sitcom, le feuilleton soap et la minisérie. La série Aída raconte la vie d'une famille de gens très humbles qui habitent un quartier nommé Esperanza Sur (Espérance Sud). Alors que les séries familiales traditionnelles offraient une vision " consensuelle " 1 au sein de laquelle se trouvaient représentées une société où les méchants étaient toujours punis et des familles heureuses et harmonieuse, la famille d'Aida est en conflit constant, l'héroïne étant une fille-mère alcoolique qui finira en prison dans la saison 7. Nous verrons d'abord comment le personnage d'Aída García permet de renouer avec la veine tragi-comique du théâtre espagnol qui fut autrefois si populaire, avant de souligner la dimension postmoderne d'une série en phase avec l'esthétique de son époque. Nous montrerons également comment le grotesque est ici transgression se jouant du politiquement correct, ce qui lui permet de transcrire une réalité sociale fort dure et un désenchantement qu'elle reflète avec un réalisme inégalé. Tradition, humour et mise à distance: Aída a beau être une série télévisée, elle ne s'en inscrit pas moins dans les traditions théâtrales et cinématographiques. On y trouve deux genres théâtraux: le sainete et l'esperpento mais aussi une influence de néoréalisme, tout à fait perceptible dans les images du générique: des plans de rues banales de banlieue pauvre, avec des parc à jeux et des immeubles désolés, filmés caméra à l'épaule. En effet, l'esthétique néoréaliste a porté son attention sur ce genre de lieu. Cependant, Aída adopte une perspective déformante et humoristique qui l'éloigne du nouveau réalisme. La symbiose entre sainete et esperpento est particulièrement savoureuse. Elle permet une mise à distance qui permet d'aborder des sujets déchirants toujours par le biais de l'humour. Selon le dictionnaire (RAE), un sainete est une pièce en un acte, drôle, populaire, qui constitue un intermède : « obra teatral frecuentemente cómica, aunque puede tener carácter serio, de ambiente y personajes populares, en uno o más actos, que se representa como función independiente ". Le sainete est florissant au 18ème et se consolide au XXème siècle. Cette tradition ancienne se retrouve dans l'esthétique costumbrista qui s'attache aux lieux et aux habitudes populaires. Aída peut en effet être rapprochée du sainete par sa structure chorale mais aussi par la simplicité des intrigues, ainsi que l'importance des dialogues. Dans Aída, le comique et le tragique vont souvent de pair, nous serions en présence d'une comédie bleu (et non noire), si l'on s'en réfère au livre L'arc-en-ciel des humours. L'humour verbal