Défaire l’événement (original) (raw)

Parmi les joyaux qu'on peut trouver sur Internet, YouTube donne à voir une conférence donnée à Budapest, le 7 avril 1990, par Vilém Flusser, le plus génial grand-père fondateur de la médiologie, quelques mois seulement avant sa mort. Selon un discours assez commun à l'époque, il y décrit le renversement du régime Ceausescu comme le symptôme d'une nouvelle situation dans la culture des images, sanctionnant l'avènement d'une ère « post-historique » dans laquelle la télévision a pris le contrôle de la réalité. Au cours de cette intervention de 24 minutes qui synthétise de façon saisissante quelques-unes des thèses développées tout au long de sa carrière, Flusser propose un contraste entre events (événements) et happenings sur lequel je m'appuierai pour éclairer quelques questions de rythmes médiatiques. En rebondissant sur des citations de ce document, j'aimerais suggérer que notre agentivité politique mérite d'être conçue non seulement en termes de rythmes, mais aussi sur le mode du « mètre » de la versification poétique (alexandrin, octosyllabe), dans un effort pour affirmer la force d'entraînement d'un point de vue nécessairement partial mais néanmoins résonant. ÉVÉNEMENTS ET HAPPENINGS Flusser nous invite d'abord à « bien distinguer une vision scénique d'une vision processuelle. Dans une scène, les choses arrivent, tout est un happening. Dans un processus, rien n'arrive, tout est un événement. La différence entre un happening et un événement, c'est qu'un happening résulte du hasard, d'un accident : c'est un accident qui devient nécessaire. Le monde des happenings est un monde chaotique, conformément aux théories de Monod ou des penseurs du chaos qui sont aujourd'hui à la mode. Tout se répète dans ce monde chaotique. Au contraire, dans les événements de l'Histoire, dans la vision du monde comme processus, rien ne peut se répéter ; tout est un événement qui a eu des causes et qui aura des effets. C'est un monde qui peut être expliqué rationnellement. Le couronnement d'un roi est un happening, qui résulte d'accidents, par exemple la mort du roi précédent, et c'est toujours quelque chose de festif et de magique. Au contraire, la discussion d'une loi au Parlement est un événement ; ça a des causes et des effets, et c'est fait pour avoir des effets. La conscience qui correspond aux images est une conscience magique et mystique ; la conscience qui