Antoine Volodine ou la fête après l'Apocalypse (original) (raw)

Cloé Korman pour IF Verso, 3 août 2014 Le monde est détruit. Le capitalisme est lessivé. La Révolution Communiste est morte, elle a ressuscité, s'est levée à nouveau, puis elle est morte pour de bon. Les réacteurs nucléaires de la planète entière ont implosé et se sont soulagés de leur uranium sur toutes les bêtes à poils ou à plume, tout ce qui rampe ou nage, parle ou écrit en vers ou en prose. Les derniers humains vivent désormais dans des baraquements rouillés ou des sites industriels désaffectés où la nourriture est rare, l'hygiène, quasi-inexistante. Parmi eux, trois anciens mercenaires : Vassilissa Narachvili, Kronauer et Iliouchenko. Ils fuient la zone de combat après que leur capitaine a basculé dans la folie et cherchent refuge dans un de ces maquis où la radioactivité est devenue si forte qu'aucun représentant de l'État central ne s'y risquerait. Souffrant de plusieurs blessures, Vassilissa est au seuil de la mort et Kronauer se décide à quitter ses compagnons pour lui chercher secours : c'est ainsi, en cheminant une éternité à travers la taïga puis la forêt, qu'il découvre Terminus Radieux, le kolkhoze où règne le chaman Solovieï. Telle est la situation initiale du nouveau roman d'Antoine Volodine, qui a pour titre le nom de ce lieu hors du commun, Terminus Radieux (à paraître au Seuil en août prochain dans la collection « Fiction & Compagnie »). Volodine y poursuit le déploiement d'un univers fictionnel qui frappe par sa singularité et sa cohérence. Sous la signature d'Antoine Volodine ou d'un de ses personnages d'écrivains-chamans (Lutz Bassman, Elli Kronauer, Manuela Drager), on a pu faire connaissance peu à peu avec ses recueils de récits croisés tels Des Anges Mineurs (prix du livre Inter en 2000) qui a pour cadre un espace si vaste et désolé, dans une société si dissoute, que la simple rencontre entre les personnages éponymes des différents chapitres, leur frôlement dans une cage d'escalier ou au bord d'un stade de sport ressemblent à des miracles, des coïncidences aussi exceptionnelles que des alignements de planètes lors des éclipses. De ce traducteur du russe, écrivain aux multiples visages, on a pu découvrir également ses textes qui reprennent et détournent les codes du roman de genre (espionnage et passion amoureuse du magnifique Port Intérieur par exemple, qui se passe à Macau), ses anthologies et histoires littéraires fictives (tels Écrivains, le plus récemment paru, et La Littérature post-exotique en dix leçons, leçon onze). Depuis trente ans, Antoine Volodine compose une oeuvre à part dans laquelle une poignée de mercenaires, clochards, marginaux, survivent aux restes de notre monde, à l'échec conjoint de l'impérialisme capitaliste et des assauts de la Révolution, pour témoigner. C'est un monde où la pauvreté extrême, devenue le sort commun de l'humanité, fait émerger une étrange émotion dans les reliques industrielles, les souvenirs, ou les bribes de paroles de héros contemplatifs et taiseux – « Bof, dit-il pour entretenir la conversation. » –, dotés d'un désespoir à toute épreuve, mais aussi souvent d'un entêtement, d'une résistance aux coups et blessures – « Il était décédé une fois de plus pendant la nuit. » – dignes des Looney Tunes.