Rôles, action sociale et vie subjective. Recherches à partir de la phénoménologie de Michel Henry (original) (raw)
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Action collective et réflexivité dans la phénoménologie radicale de Michel Henry
L'objectif de cette recherche est de montrer de quelle façon il est possible d'interroger à partir de la phénoménologie radicale de Michel Henry l'action collective du point de vue de sa participation au processus d'accroissement de l'adhésion des individus à l'inventivité originaire de la vie. La question est plus précisément de savoir comment l'expérience de l'action collective s'articule à cette épreuve radicalement affective que les individu font de cette créativité de la vie qui les constitue en son auto-affection même comme des soi vivants. Notre hypothèse est que la façon dont les actions collectives sont vécues n'est pas neutre quant à l'épreuve que les individus vivants font de ce pouvoir originaire de vivre qu'ils ont tous singulièrement en partage. C'est dire que l'action collective n'est pas seulement dotée d'un enjeu lié à la réalisation instrumentale de différents objectifs et qu'elle n'est pas davantage seulement dotée d'un enjeu lié au processus d'auto-réalisation des individus, à leur inscription par exemple dans des espaces de reconnaissance réciproque. Elle est dotée d'un enjeu plus originaire encore lié à l'épreuve radicalement singulière que les individus font de leur force de vie. Il n'est pas juste dans cette perspective de faire comme si l'adhésion des individus à l'inventivité originaire de la vie n'était pas fondamentalement mise en jeu par la façon dont ils sont amenés à interagir ensemble. Une telle recherche s'inscrit dans la perspective des travaux importants réalisés par Marc Maesschalck, lesquels permettent de montrer en quoi l'oeuvre de Henry conduit à sa façon vers « une théorie politique de la capacitation des acteurs sociaux proche des intuitions qui guident aujourd'hui les auteurs pragmatistes. Pour Putnam, croire en des capacités qui excèdent le présent en fonction même de sa confiance en la vie, c'est être un démocrate radical 1 : tout faire pour rendre possible un processus de potentiation des capacités humaines » 2 . Dans une telle perspective, l'action collective apparaît comme porteuse d'un enjeu subjectif radical, celui de savoir si elle se déploie de façon à accroître la 1 Cf. H. Putnam, Renewing Philosophy, Cambridge, Harvard University Press, 1992, p. 199. 2 M. Maesschalck, « L'attention à la vie comme forme d'une rationalité politique », in J. Hatem (dir.), Michel Henry. La parole de vie, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 272.
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− Le socialisme selon Marx « Je pense que dans tous les grands livreset je crois que votre livre est un très grand livreil y a deux voies qui parlent : dans votre livre, il y a Marx et la vôtre. C'est pourquoi le point où peut-être vous vous trompez le plus, c'est quand vous dites au début : je vais restituer le vrai Marx. » 4 À cette remarque, Henry répondde manière assez surprenante au vu de l'acharnement de Henry à défendre ce qu'il qualifie de « véritable » pensée de Marx : « je pense que vous avez raison. Tout à fait raison. » Dans ce travail, nous n'analysons pas la pertinence de sa lecture de Marx. À nouveau, notre problème n'est pas de savoir si Henry est un bon ou un mauvais lecteur de Marx, mais de ressaisir et d'expliciter les thèses que le phénoménologue développe à partir de Marx. Dans notre premier chapitre, intitulé « L'aliénation de la vie dans le social », nous reprenons l'analyse que Michel Henry propose, dans Du communisme au capitalisme. Théorie d'une catastrophe, des déterminations de l'individu par le milieu social. Nous posons les questions suivantes : qu'est-ce qu'une détermination sociale ? Comment les individus sont-ils déterminés par le social ? Nous montrons que chez Henry, une détermination sociale ne peut « déterminer » l'individu qu'à la condition d'être immanente à l'épreuve que la vie fait d'elle-même. Cette thèse en implique une autre : si la vie est bien tout entière impression de ce que l'individu est amené à vivre, il est impossible d'isoler et de retrouver en elle un milieu social au sens où la conscience peut se le représenter. Nous étudions la thèse fondamentale de Michel Henry selon laquelle aucune détermination sociale n'est objective : toute détermination sociale est une détermination de la vie. Autrement dit : une détermination sociale n'est effective qu'à la condition d'être absolument immanente à l'épreuve qu'une vie radicalement singulière fait d'elle-même, vie dans laquelle il n'y a justement rien d'objectif. Dans cette perspective, nous expliquons que, du point de vue de la phénoménologie matérielle, le problème du rapport de l'individu au monde social ne se pose plus dans les termes d'un conditionnement de l'individu par le social. Nous montrons qu'il s'agit plutôt de comprendre comment une vie, toujours déjà déterminée par tout ce que l'individu est amené à vivre, mais en même temps radicalement singulière, parvient à soi, à travers les formes sociales liées à la position sociale de l'individu, sous une forme individuelle. Nous nous demandons dès lors : la vie s'objective-t-elle dans les formes sociales à travers lesquelles elle parvient à soi ? En d'autres Dans cette perspective, l'existence d'un objet est seulement un peut-être, une possibilité, mais qui n'intéresse pas en tant que telle le phénoménologue. Dans l'attitude naturelle, le rapport de l'individu au monde s'établit entre deux entités distinctes et séparées l'une de l'autre : l'individu voit le monde comme un objet à part entière, dans lequel il évolue, mais qui est séparé de lui. Pour Husserl, au contraire, le rapport sujet/objet se rejoue sur le plan de la conscience elle-même : il y a, dans toute conscience, un pôle « je » ou ego et un pôle « cela » ou objet qui, bien que distincts l'un de l'autre, sont néanmoins immanents à la conscience elle-même : « Ce qui caractérise la représentation d'un objet, c'est une mise à distance, une venue devant le regard de la pensée, cette venue-devant étant la représentation elle-mêmece qu'indique clairement l'allemand : Vor-stellen, poser-devant. C'est seulement grâce à cette mise à distance que l'objet est ce qu'il est, à savoir quelque chose qui est posé devant, et c'est dans la mesure où il est ainsi posé devant nous qu'il se montre à nous. » 15 Cela signifie que le monde, en tant qu'il m'apparaît, n'existe que pour ma conscience, donc relié à moi, mais, cependant, il apparaît, au sein même de cette conscience, comme une polarité différente du moi qui le vise, ayant ses propriétés propres : « Se représenter une chose comme telle ou telle chose signifie : 1) poser cette chose devant son regard, à titre d'objet (ob-jet veut dire : ce qui est posé devant) ; 2) la poser comme un objet qui n'est pas n'importe lequel mais qui possède telle ou telle propriété, qui a telle ou telle nature, qui est un arbre ou un homme. Cette nature de l'objet, c'est ce que l'on appelle son essence. » 16 La question alors posée par Henry est celle du « statut » de l'affectivité. Par affectivité, il faut entendre, d'abord simplement, les impressions, de chaleur, de froid, par exemple, ainsi que les sentiments, comme de la joie ou de la tristesse. Le propre de l'impression ou du sentiment est d'être éprouvé. Nous sommes donc tout entiers cette épreuve du sentiment : la tristesse n'est pas posée là devant nous de façon que nous puissions la voir, mais elle nous étreint, au sens strict. La question décisive que Michel Henry adresse à Husserl est la suivante : un sentiment se donne-t-il lui-même par une intentionnalité ? La tristesse, par exemple, nous apparaît-elle à la manière d'un objet ? Ou encore : peut-on simplement assimiler l'épreuve d'un sentiment, comme la tristesse, à la conscience d'un objet ou à la conscience de cette tristesse elle-même ? 15 Du communisme au capitalisme, p. 45. 16 Idem. La phénoménologie matérielle : une politique du vivant 28 On sait combien ont compté, pour Michel Henry, Les leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps de Husserl. 17 Dans cet ouvrage, Husserl dégage une impression originaire. En dégageant un fond impressionnel originaire, en deçà même de la conscience, Husserl renverse le primat accordé par la tradition philosophique à la conscience. Avant la conscience, donc avant la conscience de quelque chose, il y aurait d'abord un flux d'impressions indépendant. Ce flux serait la source même de la conscience et ne cesserait pas de la déterminer : « Mais nous devons, à l'intérieur de l'impression, mettre en relief l'impression originaire, à laquelle s'oppose le continu des modifications dans la conscience primaire de souvenir. L'impression est le non-modifié absolu, la source originaire de toute conscience et de tout être ultérieurs. » 18 Husserl s'avance ainsi vers une compréhension de la phénoménalité propre à l'impression, qui ne devrait rien à l'intentionnalité puisqu'au contraire elle en serait la condition. Dans le § 36 des Leçons, Husserl dégage, à nouveau, un flux impressionnel constitutif de la conscience : « Nous ne pouvons nous exprimer autrement qu'en disant : ce flux est quelque chose que nous nommons ainsi d'après ce qui est constitué, mais il n'est rien de temporellement ''objectif''. C'est la subjectivité absolue, et il a les propriétés absolues de quelque chose qu'il faut désigner métaphoriquement comme ''flux'', quelque chose qui jaillit ''maintenant'', en un point d'actualité, un point-source originaire, etc. » 19 L'enjeu de ces passages des Leçons est le suivant : en dégageant une impression originaire, Husserl laisse entendre que l'apparaître des choses pourrait bien être constitué par un fond impressionnelpar exemple, par des sentiments ou des affects. Le sentiment ne serait pas une caractéristique de l'objet visé par la conscience, mais il serait donné avant la conscience de l'objet. Le sentiment relèverait d'un mode de donation spécifique, à la fois hétérogène aux visées de la conscience et constitutif de leur être, leur nature ou encore, leur matière. La peur, par exemple, ne serait pas suscitée par la forêt dans laquelle je me promène. Ce serait une peur primitive et sans objet qui déterminerait la conscience de sorte que celle-ci se vit sur le mode de la peur et nous ouvre à une forêt « chargée » de peur. Pour le formuler de manière abrupte : selon Henry, la conscience n'est que l'effet de ce premier flux impressionnel. En d'autres termes : la manière dont les choses apparaissent à la conscience repose sur une première donation affective inconsciente. Si Henry dit du texte de ces Leçons de Husserl qu'il est « le plus beau sans doute de la philosophie de ce siècle »,
La contribution méthodologique de Michel Henry à une ontologie phénoménologique
in: Jean Leclercq (Hrsg.): La vie et les vivants. (Re-)lire Michel Henry. Louvain: Presses Universitaires de Louvain, 249–256.
Ein erster Versuch, ausgehend vom frühen Hauptwerk L’essence de la manifestation (1963) Henrys radikalisierende Transformation der phänomenologischen Methode als Beitrag zu einer phänomenologischen Untersuchung des Seinssinns kenntlich zu machen: Die methodische Kritik der phänomenologischen Intentionalanalyse hat bei Henry den positiven Sinn, zu einer Differenzierung und Erweiterung der Analysen des Seinssinns zu führen.
Bulletin d'analyse phénoménologique, 2010
Bulletin d'analyse phénoménologique VI 6 (2010) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm © 2010 ULg BAP Rôles, action sociale et vie subjective. Recherches à partir de la phénoménologie de Michel Henry, Bruxelles, 2007, p. 53-96. 2 Cf. M. Maesschalck, « La forme communautaire du jugement éthique chez Michel Henry », in Retrouver la vie oubliée, op. cit., p. 183-211 ; id., « L'attention à la vie comme forme d'une rationalité politique », in J. Hatem (dir.), Michel Henry. La parole de vie, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 239-275 ; id., « Sens et limite d'une philosophie du don. Entre théorie sociale et phénoménologie radicale », in Archivio di filosofia, Actes du colloque international « le don et la dette » organisé par M. Olivetti, 2004, p. 281-295 ; id., « Radikale Phänomenologie und Normentheorie », in S. Nowotny, M. Staudigl (hrsg.), Perspektiven des Lebensbegriffs. Randgänge der Phänomenologie, Hildesheim/New York/Zürich, Georg Olms Verlag, 2005, p. 277-300. 3 Pour cette distinction entre auto-affection au sens fort et auto-affection au sens faible, cf. par exemple M. Henry, C'est moi la vérité. Pour une philosophie du christianisme, Paris, Seuil, 1996, p. 135-141. 4 Même si les propos que je développe ici n'engagent que moi, ils sont profondément redevables aux travaux de B. Gh. Kanabus. Cf. B. Gh. Kanabus, « Généalogie du concept henryen d'Archi-Soi », in Les Carnets du Centre de Philosophie du droit, n° 139, 2008, 30 p. ; id., « Individualité et communauté selon une phénoménologie de l'Archi-Soi », in Les Carnets du Centre de Philosophie du droit, n° 141, 2009, 30 p. ; id., « Vie et Archi-Soi : Naissance de la proto-relationnalité », in Studia Phaenomenologica, n° 9, 2009, p. 93-108 ; id., Généalogie du concept henryen d'Archi-Soi. La hantise de l'Origine, Hildesheim, Olms, à paraître. Bulletin d'analyse phénoménologique VI 6 (2010) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm © 2010 ULg BAP 1 Cf. par exemple M. Henry, Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000, p. 83. 2 Cf. par exemple M. Henry, C'est moi la vérité, op. cit., p. 76. Bulletin d'analyse phénoménologique VI 6 (
Michel Henry et la question du fondement de l’intentionnalité
Bulletin D Analyse Phenomenologique, 2010
Si nous avons placé notre examen du traitement théorique que Michel Henry a réservé à l'intentionnalité sous le signe du fondement qu'il cherche à lui assigner, c'est parce que l'une de nos principales ambitions sera de montrer que la critique que le philosophe français fait de ce leitmotiv de la phénoménologie husserlienne ne doit pas être comprise comme une tentative d'expulsion de l'intentionnalité hors du champ des recherches phénoménologiques, mais comme une entreprise de fondation. Dans cette perspective, le point de départ de Michel Henry réside dans une question très simple : l'intentionnalité est-elle susceptible de se fonder elle-même, trouve-t-elle son fondement en elle-même ? Ou sinon, quelle est sa condition de possibilité ? Ainsi, plutôt que de se contenter d'une attitude descriptive à l'égard d'un comportement intentionnel qui serait à chaque fois déjà donné, déjà opérant, il s'agit de soumettre l'intentionnalité à un questionnement de type transcendantal, pour la reconduire vers ce « qui la rend ultimement possible » 1. Le trajet suivi par cette reconduction de l'intentionnalité à son fondement est esquissé par Michel Henry de façon exemplaire dans son article, désormais célèbre, de 1995, « Phénoménologie non intentionnelle : une tâche de la phénoménologie à venir » 2 ; c'est ce texte qui nous donnera la première Bulletin d'analyse phénoménologique VI 8
Le concept d'habitus chez Michel Henry
Michel Henry emploie à quelques occasions le concept d'habitus 1 , mais sans lui donner une place particulière ou une importance quelconque. Par exemple, dans La barbarie, il traite de l'habitus en tant que pratique du corps effectuant le même mouvement. Effectuer un même geste jour après jour "détermine un habitus servant d'acquis et de substrat pour des effectuations ultérieures." 2 Cette manière d'utiliser le concept d'habitus comme mouvement du corps fait immédiatement penser à l'article "Les techniques du corps" de Marcel Mauss. "La marche: habitus du corps debout en marchant, respiration, rythme de la marche, balancement des poings, des coudes, progression le tronc en avant du corps ou par avancement des deux côtés du corps alternativement (nous avons été habitués à avancer tout le corps d'un coup)." 3 L'habitus se comprend ainsi comme une habitude du corps et se fonde, pour reprendre l'expression henryenne, "par la pratique et comme pratique." 4 Dans un autre passage, Henry qualifie l'habitus de "typique" ou de "style." 5 La pratique corporelle entendue comme mouvement, se comprend en tant que style dont use le corps pour se mouvoir.
Michel Henry : Entre phénoménologie et théologie, Enjeux et contours d'une contention
Si la phénoménologie henryenne de l'invisibilité et de l'immanence de la vie frappe par son originalité, ses ramifications théologiques font cependant l'objet de plus de critiques. Cet article montre l'indissociabilité de la phénoménologique et de la théologique, du philosophe / phénoménologue et de l'homme de la foi, chez Henry. Il retrace le mouvement discursif qui part d'une brillante description de la vie phénoménologique à l'admission du Dieu-Vie des Écritures comme un seul et un même mouvement phénoménologico-théologique. Or si la perspective de la vie phénoménologique peut ouvrir des pistes théologiques et éthiques axiales, il y a lieu de souligner les enjeux aporétiques d'une approche phénoménologique des Écritures, de la vérité religieuse et des phénomènes dits saturés.