LA LANGUE POLITIQUE ET LA REVOLUTION FRANCAISE ---- Pub. 1989 (original) (raw)


Cet article dresse un bilan des travaux récents, à la date de 2004, sur la culture politique de la Révolution française d’un point de vue discursif, avec une attention toute particulière au contexte historique. Il actualise donc la recherche sur la langue politique révolutionnaire que je mène depuis le début des années 1970, mais en la situant plus nettement dans la perspective de l’histoire langagière des concepts, mise en place dans les années 1990. Il en ressort que les travaux actuels sur les langages de la Révolution française bénéficient du dialogue entre l’histoire des concepts inclus l’histoire langagière des concepts, l’histoire conceptuelle du politique et l’histoire sociale des idées politiques, tout en privilégiant le questionnement épistémologique.

Mon attention se porte présentement sur le processus d'abstraction de la langue politique qui permet, à partir de l'expérience humaine, de formuler un savoir politico-linguistique lui-même ouvert à l'expérimentation de nouvelles trajectoires empiriques sur une période intégrant à la dynamique de la Révolution française la période proto-politique des années 1780 et le temps post-politique du Directoire. Avec Sieyès au centre, il s’agit d’abord d’y inscrire à son fondement une « métaphysique du langage » qu’il formule avant la Révolution de 1789 dans ses écrits manuscrits de jeunesse, puis systématisée après 1795, c’est-à-dire sous le Directoire, autour du concept de « monde lingual » et des possibles qu’il ouvre. Puis il convient d’y situer des manières d’être et d’agir par l’usage d’une gamme diversifiée de désignants socio-politiques

La personnalité intellectuelle de Renée Balibar est très présente dans mon trajet de recherche. Elle y occupe, en effet, une place privilégiée dans la mesure où elle a accompagné, par ses travaux et ses réflexions de trente années, chaque étape de mon étude au long terme de la langue politique pendant la Révolution française. Dans les années 1970, inscrivant l’un et l’autre nos recherches dans une tradition marxiste amplifiée par Gramsci et revisitée par Althusser, nous avons mis conjointement l’accent sur la pratique du « français national » au sein des appareils politiques démocratiques. Certes, tandis que Renée Balibar s’intéresse à la manière dont la « langue commune » des citoyens s’instaure dans le nouvel espace démocratique de « libre communication », je limite mes premières recherches au cas de la presse révolutionnaire. Cependant, au cours des années 1980, avec la préparation du bicentenaire de la Révolution française, l’élargissement de l’interrogation de Renée Balibar à « l’institution du français » à la fois dans son historicité de longue durée et son événementiel le plus proche des acteurs révolutionnaires devait marquer mes études sur les porte-parole républicains, tant à Marseille qu’à Paris, et me permettre également d’amorcer, au cours des années 1990, une réflexion sur la part de l’événement linguistique dans l’institution du français comme langue politique. Ainsi s’opère un déplacement de 1793 vers 1789 qui ne perd pas pour autant de vue la tradition marxiste. Cependant les Jacobins-Montagnards, n’occupent plus seuls le premier plan de la scène linguistique. La figure de Sieyès, législateur-philosophe, y apparaît en pleine lumière.

L'expression de "Conduites politiques de Marseillaises" employée dans le titre de notre communication renvoie conjointement à une double réalité : - d'une part, elle désigne, dans la perspective d'une analyse de l'action politique des citoyennes pendant la Révolution française, la part féminine d'une culture politique définie plus généralement comme "l'ensemble des discours et des pratiques symboliques par lesquels des individus et des groupes énoncent des revendications" dans la conjoncture révolutionnaire; - d'autre part, elle nous renvoie à l'une des ressources de l'archive, objet d'étude de l'historien du discours. En effet, l'expression de conduite politique est tout particulièrement attestée dans un contexte précis, le phénomène de la suspicion en l'an II, pour désigner des justifications de vie que nous avons conservé à l'état manuscrit.

Il faut comprendre pourquoi seule la Révolution française put apparaître comme liée aux courants utopistes, alors que, à l'instar de toutes les autres, elle n'avait pas été directement influencée par des revendications utopistes. C'est ce noeud qu'il convient de considérer en suivant, pas à pas, les mutations qui furent ainsi unifiées et requalifiées sous le terme de révolution dans l’espace français